[V] Au commencement

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
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Elzeberith
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[V] Au commencement

Message par Elzeberith »

- S'il y avait une fin -


« Ces yeux …Je les ai déjà vu, je les connais. »


La vieille, dirige ses yeux aveugles opales vers le visage pointue, insolemment jeune, elle le détaille comme si elle pouvait voir, puis scrute chaque être qui peuple l’assemblée, appuyant d’un signe de tête ou d’une grimace sa vision.

Ce soir, la fumée bleutée des opiacés remplie la pièce, le clan est réunie, l’oracle va parler, pour elle.

La vieille se penche, son corps émacié est incroyablement souple encore, ses mains jouent dans la lumière tamisée des torchères, faisant bouger les émanations des herbes en de mystiques voluptés.

Cette nuit, elle, la dernière-née, sera peut-être rendue à la nuit. Elle ne cille pas, elle rend son regard à l’oracle, elle attend.
Elle sait déjà que seul les forts survivent, elle connaît déjà les lois.
Ce visage si lisse, si fin, et ses yeux si froid …. Non, cela ne peut pas être…


« Il fait si sombre … où êtes vous peuple de la nuit, à présent ?»


Elle attend, elle regarde l’oracle s’affairer.
Elle semble détendue, mais elle n’attend qu’un signe, un seul et ses muscles se déploieront, elle ne les laissera pas décider à sa place. Elle se rassure au contact du métal froid de sa dague attachée contre sa cuisse.

Ce soir, elle est habillée selon son rang.
Son corps mince, tonique, est drapée dans une tunique richement ourlée d’une fourrure de Lynx. A son poignet, une chaînette brille.

La vieille s’avance, se baisse dans un geste lent, et sa main décharnée jette dans une coupelle d’argent quelques os. Elle fait signe à la jeune de venir, sans parler.
L’assemblée retient son souffle, on entend au loin le hurlement de mort des loups.


« Ce cri … je l’ai déjà entendu, je le connais. »


Elle se relève, rien ne trahie son angoisse, rien ne doit la trahir. Elle s’avance docilement, s’agenouille devant l’oracle, ses genoux remue doucement la poussière.
Elle ne peut s’empêcher de toucher du bout des doigts la lame, et son geste trahit son inquiétude.
Le mouvement n’a pas échappé à la vieille, elle rit doucement, puis s’interrompt brutalement.

Elle penche la tête sans attendre, Elle connaît le rituel, sa Mère lui a tant de fois racontée. Elle est là dans l’assemblée, elle regarde l’enfant, son enfant, elle est nerveuse. Elle a peur qu’elle ne soit pas digne.

L’oracle dégage les longs cheveux ivoires de la nuque, la vieille est contente, elle passe un doigt rugueux le laisse courir sur la veine qui palpite, la peau est sombre et douce, douce comme la pluie.
Un glissement métallique, le coutelas de la prêtresse émet sa lumière cristalline, la lame s’approche de la gorge de l’infante, le sang coule.


« Cette douleur … c’est le cœur des elfes de la nuit qui saignent et s’abreuvent, je dois apprendre à la connaître. »



Elle récite muettement ses vœux, tandis que la vieille s’affaire, recueillant le liquide pourpre dans la coupelle.
La vieille remue des doigts le mélange des runes osseuses et de l’eau de vie, elle semble en transe, le temps se suspend un moment, mais les voix s’élèvent, la rumeur de l’assemblée qui s’impatiente.

La vieille repose la coupelle, lève les bras.

Ici et maintenant. Elle ferme les yeux, elle sait qu’elle survivra, enfin.


- Elzeberith !


Elle rouvre les yeux, une lueur de triomphe farouche étincelle dans ses prunelles.


- Ici ton épreuve commence, vierge dévouée. Le règne de la Nuit tu connaîtras. Voici ton heure enfant !


Elle acquiesce, elle ignore l’épreuve, mais elle la traversera, elle le doit, pour lui.

« Cette terre … son goût, il m’est étranger. Grande mère, où-suis-je ? »
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Elzeberith
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Re: Au commencement

Message par Elzeberith »

- Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la beauté -



- Pssssssssst !


Le bruit tire l'enfant aux longs cheveux d'argent de sa contemplation. Cela fait plusieurs minutes, peut être des heures, qu'elle déambule dans le long corridor qui sépare sa chambre du reste des appartements de sa mère. Elle en connaît chaque ornement, chaque portrait, tant elle y a tourné en rond.


- Psssssssssst !



Elle tourne la tête, cherchant en vain qui donc l'appelle ainsi, quand soudain, elle se retrouve nez à nez avec ce qui semble être un jeune elfe noir. Il retient le cri qu'elle s'apprête à pousser en plaquant sa main sur sa bouche.


- chuuut.


Il enlève sa main, doucement. Les yeux du garçon pétille de ruse et de malice. Il est tout heureux du tour qu'il vient de jouer. Il dévore des yeux la fillette, guettant ses réactions, s'amusant de la voir si surprise.


- Je t'ai vu, t'es toujours toute seule. On t'a déjà dit que tu étais jolie ?


Jolie ?
La fillette, en effet, porte en elle la promesse d'une grande beauté. Belle, sa mère et d'autres prêtresses, lui ont déjà dit oui, mais pas comme cela. Pas en gage de compliment.
Prudente, elle répond :


- Si on te trouve ici, on te battra. Et puis t'es qui d'abord ?
- Moi, je sais qui tu es. Tu es la fille de la Haute Prêtresse, et t'es ...



La porte s'ouvre brusquement.
La fillette tire brutalement son nouveau compagnon à l'abris sous une niche, derrière une épaisse tenture. Les deux enfants perçoivent des bruits de voix, puis de pas, puis à nouveau la porte.
Ils se serrent, l'un contre l'autre, chacun risquant une punition terrible. Puis leurs yeux se croisent.
Le garçon, un étrange sourire flottant encore sur les lèvres, prend la main de l'elfette.


- Abelderth, fils du maître d'armes. Mais toi, tu peux m'appeler Abel'.
- Moi c'est ...
- Elzeberith, oui, je sais qui t'es.



Une voix grondante se fait entendre alors, indistincte, mais puissante. Le garçon jette un dernier regard à la fillette, puis détale, sans bruit.
Dernière modification par Elzeberith le 08 avr. 2009, 20:37, modifié 1 fois.
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Elzeberith
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Au commencement

Message par Elzeberith »

- Toute la place est pour la beauté -


- Elzeeee !


Une demoiselle se retourne, elle fusille de ses grands yeux noirs l'elfe sombre qui vient d'aparaître sous le candelabre.


- Tu es dingue ! Tu veux vraiment ma mort !


Elle descend prestemment de sa cachette. Féline, en quelques pas elle a rejoint le perturbateur, pointant sa dague dans le creux de sa gorge en guise de menace.
Mais ce n'est qu'un jeu, habituel. Ils se regardent, lui sans se départir de son sourire, elle feintant une fureur qui masque une joie éclatante.


- Tu écoutes encore aux portes. On ne t'a jamais dit que c'était interdit ?



L'interdit, un seul mot pour désigner tout à la fois ce qu'il y a d'excitant dans ce monde.
Puis toute joie s'efface.


- Elle entre en délivrance



Elle, c'est la Matriarche.


- Tu as peur ce ne soit pas un...
- Tais toi, on peut nous entendre.
- Mais Elze, elles te tueront si...


Elle pose son doigt comme une plume sur les lèvres de son complice. Le moment est grave, suspendu. Depuis toutes ses années, ils n'ont plus besoin de se dire les choses, et il y en a tant qu'elle s'interdit de lui dire.
Nuit après nuit, elle s'étonne que ceux qui la surveillent, dans l'ombre, lui permettent de le voir encore.

Combien de jeux ont-ils partagés ? Combien d'heures, à attraper des animaux, à jouer avec les runes de la chamane, à se chamailler ?
Combien de temps lui laissera-t-on encore ?

Enfin, elle enlève son doigt. Il tente de retenir sa main, elle se dérobe. Pas ce jeu là, non, celui là, il est trop dangereux.


- Si c'est une fille, je La tuerai.
- Non Abel, non.


Sur ce, elle rejoint la voute d'où elle épiait les bruits au dessus de la porte, il reste à ses côtés sur son perchoir.
Des cris de douleur et de rage parviennent jusqu'à eux, l'agitation dans la chambre se fait moins intense. Enfin, on entend le hurlement d'un nourrisson.
Les prêtresses restent muettes.

C'est un garçon.
Dernière modification par Elzeberith le 13 févr. 2009, 22:18, modifié 1 fois.
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Elzeberith
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Au commencement

Message par Elzeberith »

-Elle est un piège tendu par la nature à la raison-


Une ombre se glisse par la fenêtre. La carrure est athlétique, les mouvements fluides, un rayon de lumière baigne quelques secondes le visage du sombre. Son expression inquiète ne paraît pas lui être coutumière.

Une bougie brûle près du lit à baldaquin où elle dort, la lumière jaune danse par vagues sur les lourds brocards.
Il aimerait rester là, à la regarder, à son insu, comme il le faisait quand ils étaient enfants.
La flamme fait étinceler l'épée sertie de pierreries qu'il tient à la main. Il doit faire vite.


Depuis combien de lunes ont-ils été séparés ? Trop.
L'a-t-elle oublié ? Lui non, jamais. On leur a fait chèrement payé leur amitié clandestine.


Il sait que la mort et le sang gouverne les sombres. Et la beauté. Il le comprend à présent, en la regardant.
Elle n'est pas pour lui. Elles, les femmes, ont depuis longtemps décidé de son sort, à elle. Au fond, peut être l'ont-ils toujours su. Ce n'était qu'un jeu, un interdit à braver de plus.
Et puis un jour, elle lui a dit de partir. Elle a dit froidement « disparaitre ».

Il est revenu cette nuit.

Combien de pas avant de l'atteindre ? Il s'approche, sa lame à la main. Il ne baissera pas sa garde. Au moment où il se penche, il sent la présence cachée. Il est trop tard. Il prend la main de l'endormie, et alors qu'elle ouvre doucement les yeux, lui murmure d'une voix rauque : « fuis, c'est une fille, f... »

Le froid du métal tranchant vient de transpercer sa poitrine qui s'orne d'une étoile rouge.


- Abeeeel


Un cri déchirant transperce les ténèbres. Elle regarde, folle d'incompréhension, le compagnon de ses jeux suspendu dans un sourire simiesque.
La sombre derrière appelle déjà la Garde, elle appelle au traitre, à l'assassin.
Il est heureux, il va s'éteindre dans ses bras, les longs cheveux de neiges caressant son front. Enfin, il goûte à la tiédeur de sa peau, lui laissant le soin, à elle, de recceuillir les dernières gouttes de sa vie.
Il lui sourit, une dernière fois.


Ne soit pas triste. Ne pleure pas. Ne renonce pas.
Et cette voix, au fond d'elle, qui crie, qui appelle.


Elle pousse lentement le corps de celui qui tombera dans le déshonneur, pour lui avoir fait son seul cadeau. Elle se lève, affronte du regard celle qui l'a tué, et d'un air glacé, lance à la garde qui attend sur le seuil.


- Hé bien, qu'on enlève cette ordure de ma couche.


Puis, elle se détourne vers la fenêtre où la brise s'engouffre. Dans sa paume, elle tient la chaînette qu'il avait à son poignet.


- Que cela ne se reproduise pas, ma Mère en sera informée. Définitivement.


On entend des bruits de lutte, des vocifèrements, puis un dernier, mat, d'un corps qui tombe. Les gardes s'affairent, rapides, efficaces, la porte se referme, enfin.
Elle peut pleurer maintenant.
Au loin, on perçoit la psalmodie des prêtresses. La fille de la Matriarche est née.

Elle pleure pour la nuit, elle est seule désormais.
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Elzeberith
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Au commencement

Message par Elzeberith »

Ainsi vous ai-je narré l'histoire d'Elzeberith, ou du moins, ce qui pourrait en être le plus proche.

Certains soirs, on entend la garde divaguer à ce sujet, quand la vigileance des femmes se relâchent. Certains murmurent ses grands yeux noirs, sa candeur farouche et d'autres choses sur des sentiments, inconcevables pour Elles.

Elles, elles ont interdits aux novices d'en parler... Et le passé d'Elzeberith tombera dans l'oubli, recouvert de poussières et d'ombres qu'on ne peut transpercer.
Et l'on n'écoute plus les vieilles aveugles depuis longtemps, surtout pas celles qui voient au délà du temps.

Mais Elzeberith fut, elle sera, et demeure. Et son épreuve est sans doute la providence qu'il lui souriait tant de fois. Laissez moi vous raconter, encore, une dernière fois, et libre à vous après, de me traiter de folle. Car je disparaitrai ...



- Au commencement -


«  Je ne me souviens pas … » 


Etendue, sur une des berges du Trépont, elle feint la mort.
Regardez-là, c’est troublant tant elle sait si bien comment ne pas se faire voir, ne pas être vue.

Elle ne craint rien, ici, tant qu’elle paraîtra … petite, et écrasée.
Elle le sait déjà d’instinct, elle sait déjà comment survivre, la nuit coule dans ses Veines.

Elle réfléchit, elle sonde.


« Bon sang rappelle-toi fille de la nuit, rappelle-toi »


Non, elle ne se souvient pas. Ou peut-être … l’épreuve oui !
Elle jubile intérieurement, elle remonte lentement le temps de son esprit, se guidant à travers les fils entremêlés de ses souvenirs.

Elle ignore pour le moment son bras anormalement replié sous elle, Elle est morte, les morts ne bougent pas, ne geignent pas.

Elle parcourt mentalement cette Nuit-là, la fumée, l’oracle, Elle se rappelle. Elle découvre comme un pillard découvre un coffre enfouie, ôtant petit à petit la terre qui recouvre les richesses de sa mémoire.
Elle revoit le décor, l’ornement de la pièce, la Matriarche siégeant en arrière, et sa mère, à sa droite.


« Mère, vous avez toujours su, vous saviez »


Elle relève maintenant les détails qui balisent le chemin, enfin. Sa Mère, étrangement nerveuse, l’Oracle, souriant à l’assemblée, souriant à sa Mère.
Elle sent sa langue gonflée dans sa bouche pâteuse, essaye de déglutir, et reconnaît derrière l’âcreté de la soif l’amertume coutumière de la drogue.

La lumière se fait jour dans sa tête, elle a ôté la dernière poignée de terre, elle sait maintenant. Elle se voit s’incliner devant l’Oracle, et boire au calice qu’elle lui tend. Elle entend la litanie des prêtresses, la voix de sa mère parmi celles-ci.
Son corps endolori s’alourdir sous l’effet de la drogue, et tomber, tomber dans la nébuleuse sans fond des âges.

Et ce visage ravagé, aux yeux laiteux se pencher au dessus d’Elle, comateuse :

Voici l’épreuve enfant de la Nuit, vierge du clan. Puisses-tu trouver ton chemin dans les méandres des Landes, retrouve les sœurs sombres. Vis et vois pour nous.


« Je vais vivre vieille folle, je vais vivre. »


Ainsi donc, elle sait.
Nul n’est plus besoin de rester là, gisante. Elle se redresse lentement, du sable collé au visage. La lumière du matin l’aveugle, elle n’est pas habituée, elle cligne plusieurs fois des yeux.
Elle ignore encore la douleur de son bras pendant, désarticulé, et scrute les alentours. La pointe du phare domine les arbres au loin.

Ses pieds buttent contre la barque, à moitié défoncée, dans laquelle Ils ont du la jetter.
Elles constatent qu’il ne lui reste plus rien, rien que sa tunique détrempée, déchirée à l’épaule.
Elle ressent tout à coup la douleur aigue, transperçante, elle retient un glapissement, et remet d’un geste sec l’épaule en place.

Elle se lève, ses pieds goûtant la texture du sable humide et meuble, et reste là, à regarder la mer qui l’encercle.


« Je vais vivre Mère, la tête haute, votre dernière-née est de la race des forts»



Elle se retourne, elle ne sait déjà plus si elle doit haïr ou aimer cette île. Elle crache, évacuant les relents de la drogue amère, et l’air décidé, se dirige en direction du Phare.

Ici et maintenant commence l’histoire dans les îlots d'Elzeberith, l’enfant de la nuit.
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