Leçons au gré du vent
Publié : 14 août 2010, 15:02
La prière « au gré du vent » (Mantra):
Nulle pensée n’est plus rapide que le Temps.
Nul chant ne saurait rattraper le Vent.
Connais-toi Toi-même.
Ainsi, naîtra le Vent par ta bouche,
Et ton chant cadencera le rythme des saisons.
0 :Introduction
Mon cours de ce matin prend décidemment une étrange tournure.
Non pas que ça me déplaise, hein, j’aime être un peu bousculée.
L’imprévu m’a toujours divertie. J’aime ces moments intenses où tout peut basculer, d’un simple mot, d’un geste déplacé, d’une pensée révélée… C’est à ces moments là que je me sens la plus vivante. Durant ces secondes que l’attention transforme en heures, quand le temps devient si dense que l’air se change en plomb, quand l’esprit se focalise tant sur un sujet qu’on en oublie de respirer.
Et c’est là que je puis me révéler utile, surtout après mon séjour dans les ilots, là où l’erreur ne peut nous être mortelle, là où les limites peuvent être testées, et donc là où on peut apprendre à se connaitre plus vite.
Ainsi, quand arrivent ces instants de vérité au campement, d’entre tous les présents, l’impulsion décisive me revient, comme un devoir tacite plus qu’un droit.
Un devoir dont je me passerais évidemment, n’était-ce mes antécédents.
Un droit que je ne ferais pas valoir, si je ne devais réparer une erreur de jeunesse.
Des instants de tension comme ceux-ci, nous en avons tous vécus, avec plus ou moins de bonheur. Et ne vous méprenez pas sur mon discours. Ces moments là, je suis loin de réussir à tous les tourner à mon avantage. Rien de moins évident que de faire changer d’avis un pur instinctif, un croyant ou un caractériel ? Bien sur, un raisonnement peut toujours être faussé et une personnalité réfléchie peut toujours être convaincue. Démontrer une chose comme son contraire en modifiant subtilement les paramètres d’une réflexion est la portée du premier orateur venu. Mais avec certains, leur conception du monde n’est pas le fruit de déductions étayées par des faits, mais celui de vagues intuitions, de ressentis ou de croyances invérifiables. Ils se sont construits tels des châteaux de carte sur des sables mouvants. Alors, quoique vous puissiez dire, plus d’un en arrive à nier jusqu’à la réalité pour sauver l’édifice…
Sachant cela, comment pourrais je en vouloir à cette fille que j’ai faite orpheline et qui doit suivre sagement mes enseignements?
Vous ? Que feriez-vous si on vous imposait pour Thar l’assassin de vos parents ?
Même si je dois avouer que notre Tin a toujours fait preuve de sagesse avec moi, c’est une drôle de choix de sa part car je ne sais que faire face à cette petite….
Qu’elle me crache au visage est une chose que je peux endurer, ça n’est ni la première, ni la dernière fois qu’on me gratifie de cette marque d’intérêt. Après tout, ce n’est qu’une gamine. Mon vrai problème est ailleurs:
Je suis sa Thar. Comment pourrais-je-lui faire sentir que je suis ici pour l’aider et lui enseigner ce que j’ai appris? Que le mal que je lui ai fait, s’il ne peut être réparé, peut au moins illustrer pourquoi elle ne doit pas le reproduire ?
De tous les orphelins dont j’ai eu en charge l’éducation, elle est définitivement la plus rétive, et la seule qui rechigne encore à m’écouter.
Huit fingéliens de patience n’y ont rien changés, elle s’est confortée d’autant mieux sur ses positions.
Certes, mes autres élèves m’ont aussi réservé leurs lots de surprise, mais ils ont tous, à leur manière, surmonté la perte que je leur ai infligée. Ils se sont finalement reconstruits, parce que la source de leur maux était enfin face à eux, abordable. Après mon retour, je n’étais plus une monstruosité bleue inaccessible, exilée au-delà de l’horizon. Je redevenais un être de chair et de sang à portée de voix, avec ses faiblesses. ..
Certains de mes élèves me parlent normalement, et trois d’entre eux, pour sûr, m’ont réellement pardonnée.
Mais Clémence, rien. Pas un mot. Elle est même très loin d’en arriver là.
Oui, parce que ma petite dernière s’appelle Clémence, voyez-vous…
C’aurait pu être un bon présage, malheureusement ni elle ni moi-même ne croyons à ce genre de choses. Pour nous, seuls les faits comptent, hein petite ?
D’ailleurs, elle me ressemble un peu, cette fillette. Un peu trop.
Oh le principe de cause à effet lui est connu, mais tenter de me comprendre est une erreur qu’elle ne commettra pas. Pour mon cas, seule la loi du talion s’applique. Instinctivement, elle répliquera à mon agression.
Et naturellement, elle s’est tournée vers le chant.
Alors Clémence chante.
Elle est douée Clémence.
Autant que je suis patiente.
Cela fait huit fingéliens qu’elle s’entraine, cette petite. Jour et nuit parfois.
Sans relâche, sans temps morts, elle chante ses Cantiques.
Elle n’est d’ailleurs plus si petite que ça, puisqu’il y a neuf mois, elle a passé le rite du chant adulte avec l’éclatante maîtrise qu’évoquait encore notre Tin la semaine dernière : « Et comment sa foi aurait-elle pu donner un autre résultat que le chant magnifique dont elle nous a gratifié ? » me faisait-il remarquer à notre dernière rencontre.
Il est des choses qui ne changent pas : Faire l’erreur de croire que les motivations des autres sont le miroir des nôtres est une impasse que nous avons tous prise…
Donc maintenant, Clémence chante, en télépathe.
Attention, en vraie télépathe, hein.
Pas avec cet ersatz de don qu’accordent les Landes à leur hôtes.
Non, elle use de notre télépathie : La bleue, la vraie.
L’intégrale, la fusionnelle, l’indicible pour qui sait s’y prendre.
Et ma révoltée apprend vite…
Mais pas grâce à moi. Plutôt à cause de moi, en fait.
Elle apprend quand même, et ça, ça restera ma petite victoire d’enseignante.
Ma seule victoire en ce qui la concerne, malheureusement.
Je dis ça car j’ai essayé tous les stratagèmes possibles pour qu’elle m’ouvre son esprit.
Sans effet, si ce n’a été de renforcer sa méfiance.
User de ma force mentale sur elle, si tant est que j’en ai, m’est bien sur proscrit, alors j’attends qu’elle s’ouvre à moi.
J’attends cet instant qui changera tout entre elle et moi.
Ce moment où, inévitablement, nos huit fingéliens d’observation se condenseront en une fatidique poignée de secondes.
Un moment inéluctable où droit et devoir, alors, se confondront.
Elle me chantera surement l’atrocité de mon acte, face à face.
Et elle chantera aussi pour me punir et m’enfermer.
Sa bouche s’ouvrira et libèrera des flots vengeurs…
Et bien devinez quoi ? Ce matin, au saut du lit, Clémence a chanté pour moi.
Huit fingéliens d’attente.
Huit.
Et en quelques secondes s’est entrouverte la porte de sa forteresse mentale pour libérer un flot de notes irrépressiblement conquérantes.
Aveuglée par sa haine, ignorait-elle que c’était le plus beau cadeau à me faire ?
Sa porte s’ouvre en fanfare et j’entre dans la forteresse sans un regard en arrière.
Je ne suis pas du genre à refuser une invitation.
Aujourd’hui, mon cours peut enfin commencer, même si la vue de mon corps inanimé au sol lui fait croire qu’elle en a fini avec moi...
Même notre Tin, qui adore jouer de ma culpabilité, ne pourra plus me reprocher mon manque d’abnégation.
J’ai sauvé tous ceux qui pouvaient l’être, et je sauverai ma dernière victime malgré elle… et malgré moi.
Ici, en ce recoin de sa pensée, la place est plutôt agréable. Je pourrais presque m’y sentir chez moi.
Le temps de m’installer confortablement, la nuit s’imposera.
Alors, seulement alors, ma première pensée sera pour toi, Clémence, maintenant que nous sommes sœurs…
Je te montrerai qui était la Voleuse d’Esprit que tu hais tant, Clémence…
Et je ferai tout pour que nos rêves communs écartent imperceptiblement tes pas de mon funeste chemin…
Nulle pensée n’est plus rapide que le Temps.
Nul chant ne saurait rattraper le Vent.
Connais-toi Toi-même.
Ainsi, naîtra le Vent par ta bouche,
Et ton chant cadencera le rythme des saisons.
0 :Introduction
Mon cours de ce matin prend décidemment une étrange tournure.
Non pas que ça me déplaise, hein, j’aime être un peu bousculée.
L’imprévu m’a toujours divertie. J’aime ces moments intenses où tout peut basculer, d’un simple mot, d’un geste déplacé, d’une pensée révélée… C’est à ces moments là que je me sens la plus vivante. Durant ces secondes que l’attention transforme en heures, quand le temps devient si dense que l’air se change en plomb, quand l’esprit se focalise tant sur un sujet qu’on en oublie de respirer.
Et c’est là que je puis me révéler utile, surtout après mon séjour dans les ilots, là où l’erreur ne peut nous être mortelle, là où les limites peuvent être testées, et donc là où on peut apprendre à se connaitre plus vite.
Ainsi, quand arrivent ces instants de vérité au campement, d’entre tous les présents, l’impulsion décisive me revient, comme un devoir tacite plus qu’un droit.
Un devoir dont je me passerais évidemment, n’était-ce mes antécédents.
Un droit que je ne ferais pas valoir, si je ne devais réparer une erreur de jeunesse.
Des instants de tension comme ceux-ci, nous en avons tous vécus, avec plus ou moins de bonheur. Et ne vous méprenez pas sur mon discours. Ces moments là, je suis loin de réussir à tous les tourner à mon avantage. Rien de moins évident que de faire changer d’avis un pur instinctif, un croyant ou un caractériel ? Bien sur, un raisonnement peut toujours être faussé et une personnalité réfléchie peut toujours être convaincue. Démontrer une chose comme son contraire en modifiant subtilement les paramètres d’une réflexion est la portée du premier orateur venu. Mais avec certains, leur conception du monde n’est pas le fruit de déductions étayées par des faits, mais celui de vagues intuitions, de ressentis ou de croyances invérifiables. Ils se sont construits tels des châteaux de carte sur des sables mouvants. Alors, quoique vous puissiez dire, plus d’un en arrive à nier jusqu’à la réalité pour sauver l’édifice…
Sachant cela, comment pourrais je en vouloir à cette fille que j’ai faite orpheline et qui doit suivre sagement mes enseignements?
Vous ? Que feriez-vous si on vous imposait pour Thar l’assassin de vos parents ?
Même si je dois avouer que notre Tin a toujours fait preuve de sagesse avec moi, c’est une drôle de choix de sa part car je ne sais que faire face à cette petite….
Qu’elle me crache au visage est une chose que je peux endurer, ça n’est ni la première, ni la dernière fois qu’on me gratifie de cette marque d’intérêt. Après tout, ce n’est qu’une gamine. Mon vrai problème est ailleurs:
Je suis sa Thar. Comment pourrais-je-lui faire sentir que je suis ici pour l’aider et lui enseigner ce que j’ai appris? Que le mal que je lui ai fait, s’il ne peut être réparé, peut au moins illustrer pourquoi elle ne doit pas le reproduire ?
De tous les orphelins dont j’ai eu en charge l’éducation, elle est définitivement la plus rétive, et la seule qui rechigne encore à m’écouter.
Huit fingéliens de patience n’y ont rien changés, elle s’est confortée d’autant mieux sur ses positions.
Certes, mes autres élèves m’ont aussi réservé leurs lots de surprise, mais ils ont tous, à leur manière, surmonté la perte que je leur ai infligée. Ils se sont finalement reconstruits, parce que la source de leur maux était enfin face à eux, abordable. Après mon retour, je n’étais plus une monstruosité bleue inaccessible, exilée au-delà de l’horizon. Je redevenais un être de chair et de sang à portée de voix, avec ses faiblesses. ..
Certains de mes élèves me parlent normalement, et trois d’entre eux, pour sûr, m’ont réellement pardonnée.
Mais Clémence, rien. Pas un mot. Elle est même très loin d’en arriver là.
Oui, parce que ma petite dernière s’appelle Clémence, voyez-vous…
C’aurait pu être un bon présage, malheureusement ni elle ni moi-même ne croyons à ce genre de choses. Pour nous, seuls les faits comptent, hein petite ?
D’ailleurs, elle me ressemble un peu, cette fillette. Un peu trop.
Oh le principe de cause à effet lui est connu, mais tenter de me comprendre est une erreur qu’elle ne commettra pas. Pour mon cas, seule la loi du talion s’applique. Instinctivement, elle répliquera à mon agression.
Et naturellement, elle s’est tournée vers le chant.
Alors Clémence chante.
Elle est douée Clémence.
Autant que je suis patiente.
Cela fait huit fingéliens qu’elle s’entraine, cette petite. Jour et nuit parfois.
Sans relâche, sans temps morts, elle chante ses Cantiques.
Elle n’est d’ailleurs plus si petite que ça, puisqu’il y a neuf mois, elle a passé le rite du chant adulte avec l’éclatante maîtrise qu’évoquait encore notre Tin la semaine dernière : « Et comment sa foi aurait-elle pu donner un autre résultat que le chant magnifique dont elle nous a gratifié ? » me faisait-il remarquer à notre dernière rencontre.
Il est des choses qui ne changent pas : Faire l’erreur de croire que les motivations des autres sont le miroir des nôtres est une impasse que nous avons tous prise…
Donc maintenant, Clémence chante, en télépathe.
Attention, en vraie télépathe, hein.
Pas avec cet ersatz de don qu’accordent les Landes à leur hôtes.
Non, elle use de notre télépathie : La bleue, la vraie.
L’intégrale, la fusionnelle, l’indicible pour qui sait s’y prendre.
Et ma révoltée apprend vite…
Mais pas grâce à moi. Plutôt à cause de moi, en fait.
Elle apprend quand même, et ça, ça restera ma petite victoire d’enseignante.
Ma seule victoire en ce qui la concerne, malheureusement.
Je dis ça car j’ai essayé tous les stratagèmes possibles pour qu’elle m’ouvre son esprit.
Sans effet, si ce n’a été de renforcer sa méfiance.
User de ma force mentale sur elle, si tant est que j’en ai, m’est bien sur proscrit, alors j’attends qu’elle s’ouvre à moi.
J’attends cet instant qui changera tout entre elle et moi.
Ce moment où, inévitablement, nos huit fingéliens d’observation se condenseront en une fatidique poignée de secondes.
Un moment inéluctable où droit et devoir, alors, se confondront.
Elle me chantera surement l’atrocité de mon acte, face à face.
Et elle chantera aussi pour me punir et m’enfermer.
Sa bouche s’ouvrira et libèrera des flots vengeurs…
Et bien devinez quoi ? Ce matin, au saut du lit, Clémence a chanté pour moi.
Huit fingéliens d’attente.
Huit.
Et en quelques secondes s’est entrouverte la porte de sa forteresse mentale pour libérer un flot de notes irrépressiblement conquérantes.
Aveuglée par sa haine, ignorait-elle que c’était le plus beau cadeau à me faire ?
Sa porte s’ouvre en fanfare et j’entre dans la forteresse sans un regard en arrière.
Je ne suis pas du genre à refuser une invitation.
Aujourd’hui, mon cours peut enfin commencer, même si la vue de mon corps inanimé au sol lui fait croire qu’elle en a fini avec moi...
Même notre Tin, qui adore jouer de ma culpabilité, ne pourra plus me reprocher mon manque d’abnégation.
J’ai sauvé tous ceux qui pouvaient l’être, et je sauverai ma dernière victime malgré elle… et malgré moi.
Ici, en ce recoin de sa pensée, la place est plutôt agréable. Je pourrais presque m’y sentir chez moi.
Le temps de m’installer confortablement, la nuit s’imposera.
Alors, seulement alors, ma première pensée sera pour toi, Clémence, maintenant que nous sommes sœurs…
Je te montrerai qui était la Voleuse d’Esprit que tu hais tant, Clémence…
Et je ferai tout pour que nos rêves communs écartent imperceptiblement tes pas de mon funeste chemin…