Le cuir décousu

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
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Phedre
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Le cuir décousu

Message par Phedre »

*** Inutile de chercher à y voir clair dans ces événements. Ils jaillissent à l'improviste. Respirent sans nécessité. Il n'y aura pas de début. Il n'y aura pas de fin. ***

Et c'est tout. Ils s'en vont. Une petite fille à la peau brune, aux cheveux bruns. Un garçon fort. L'ancien chemin des bucherons. La peau brune, cheveux bruns, pieds nus, pieds nus et les racines qui s'emmêlent et les arbres qui s'enroulent. La petite fille tient l'âge de ses rêves fermes ; pieds nus pieds nus dans les racines, enroule ses yeux nus sur les arbres. L'ancien chemin remonte. Derrière, l'arrière pays, et la terre renversée, derrière... Pieds nus, sous les frondaisons quelques soleils et l'air dans les cheveux bruns.

" — Dis, Lucius, savent-ils déjà que nous sommes partis ?
" — Sans doute sont-ils déjà à notre poursuite, Phèdre.
" — Sont-ils inquiets, crois-tu ?
" — Ou mieux, en rage."

Pieds nus avec le vent qui coure. La route ne purge pas. Elle agrandit l'appétit. C'est le rire qui s'éloigne de leurs traces.

" — Oh, comme ils vont grogner ! Entends-tu déjà les cris, les chiens ?
" — Il n'y aura rien, petite soeur.
" — Si seulement...
" — Personne ne vient ici.
" — Sommes-nous déjà loin du village ?
" — Nous approchons du but.
" — Cette forêt est si étrange... comme un mystère... Est-ce là que les Elfes vivent ?
" — Plus aucun Elfe ne vit dans ces forêts depuis longtemps, Phèdre.
" — Longtemps, c'est comment ? Etais-tu né ?
" — Longtemps, c'est longtemps. Père m'a dit n'en avoir jamais rencontré quand il venait.
" — Se cachent-ils ? Et ce chemin, qui le connaît encore ?"

Loin, bien loin, les derniers bruits des dernières machines. Et le pépiement des moulins. Et le silence que font les silhouettes. Et...

" — Dis, Lucius, sommes-nous arrivés ?
" — Patience, petite soeur. As-tu peur ?
" — Avec toi, je n'ai jamais peur. Peut-être que toute seule... Peut-être bien que j'aurais peur. Cette forêt est si sérieuse... On dirait que quoi que je fasse elle refusera de changer.
" — C'est une très vieille forêt.
" — Que dira notre mère ?
" — Ne t'inquiète pas, je dirai que c'est de ma faute. C'est moi qui t'ai entrainée.
" — Mais moi, ça m'a plu tout de suite. Je voulais partir avec toi."

Pieds nus, pieds nus, dans la forêt qui s'enfonce et le soleil qui s'arrête au seuil. Ils chuchotent, pourquoi chuchotent-ils, qui le sait, les arbres se font plus majestueux, chuchoter, ne pas déranger, à l'ombre, toujours plus à l'ombre...

" — Quand nous arriverons, tu me couperas les cheveux. Je deviendrai alors un garçon. Dès lors, plus rien ne sera un problème.
" — Ce n'est pas aussi simple, Phèdre.
" — Ne complique pas les choses. Je serai un garçon et je ferai tout comme toi. Ce sera les quatre cents coups et plus encore avant la belle mort et les faits dignes d'être contés. C'est cela oui, les quatre cents coups et le refuge dans les bois."

Elle dit ça en élevant le ton. Elle a de grands airs. Elle croit. Ce n'est pas de l'espérance, non, c'est de la foi. Elle le lit dans son ventre, Phèdre, elle sait, elle sent. La route a disparu. Il n'y a plus de chemin. Plus de passe-droit, les branches défendent le passage. Y sommes-nous, presque, encore, encore, je crois, la rivière n'est plus loin. Quelques branches qu'on arrache, les pas, les pas, la lumière qui revient. Le soleil allongé sur l'eau, et au bord, allongé, leur père avec une femme, une autre femme que leur mère.
Dernière modification par Crowley le 24 mars 2019, 11:39, modifié 1 fois.
Raison : comptabilisé en notoriété
Margrave de Pierre Blanche
Chevalier de la Prompte et Forte Poigne
Officier de réserve dans l'Armée de Séridia
Archimage au service des Deux Livres

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