[V] Chroniques Hasdrubaliennes

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
Hasdrubal
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[V] Chroniques Hasdrubaliennes

Message par Hasdrubal »

Je m’appelle peut-être Hasdrubal.
C’est du moins ainsi qu’on me nomme dans les îlots centraux. Mon véritable nom ? Perdu dans les limbes de ma conscience, en compagnie du reste de mon passé.
Mon plus ancien souvenir, c’est d’être étendu par terre, au bord d’un chemin traversant une forêt. Avec un sacré mal de crâne, et aucune idée de ce que je fais là. Mais mon instinct de survie ne me laisse pas l’occasion de me poser des questions tout de suite. L’endroit est dangereux, les Landes ne font pas de cadeaux. Je sais que je dois trouver un refuge. Et tout chemin est tracé pour mener quelque part. Celui-ci mène à une route, qui me mène à une cité portuaire fortifiée. C’est en cours de route que je me rends compte que je ne sais même pas qui je suis. Et que je n’ai rien sur moi qui puisse me fournir un indice. Mes vêtements sont désespérément passe-partout et je n’ai rien dans les poches, pas même une bourse.

J’arrive donc au crépuscule devant les portes de la cité, inquiet de ne savoir quoi raconter pour qu’on me laisse entrer. Heureusement, les gardes sont trop pressés d’abaisser la herse derrière moi pour me questionner. On dit que depuis la mort de Fingel, des choses hostiles et souvent invisibles rodent par ici la nuit tombée.
Mes préoccupations deviennent de trouver à manger et un toit pour dormir dignement. Je m’abaisse à accepter tous les petits boulots, parfois on n’a pas le choix. Et j’observe.
Les habitants de la ville sont Humains. Il leur est interdit de s’affirmer Sinan ou Eldorian, même interdit de seulement prononcer ces mots. Je comprends rapidement que le dirigeant n’est pas de la même origine que la majorité de la population, et fait le nécessaire pour que cela s’oublie. Je connais la langue locale, mais ce n’est pas la mienne. D’ailleurs tout m’est étranger, tout me dit que je ne suis jamais venu ici. Les gens n’ont même jamais vu un Kultar, et je fais un moment figure de curiosité.

Quand on m’a demandé mon nom, je ne sais pas pourquoi j’ai répondu Hasdrubal. Une réminiscence ? Pourtant, ça ne sonne pas Kultar. Peut-être un nom entendu inconsciemment dans la rue ? Je l’ignore.
Les jours passent, et je ne sais toujours pas qui je suis, si ce n’est un Kultar déjà grisonnant, et qui ne se sent pas à sa place parmi la plèbe. Dans ces cas, on finit par imaginer les hypothèses les plus folles. Suis-je un marchand, agressé par des bandits de grand chemin ? Un simple imprudent, victime d’un charme des Landes ? Un oncle à héritage, victime de neveux pressés ? Un conseiller princier, sur qui un rival jaloux a eu le raffinement d’user d’un sortilège mange-mémoire ? Et si j’avais suivi le chemin ou la route dans l’autre sens, serais-je revenu chez moi ?

Au début on me voyait avec curiosité, cela devient peu à peu de l’hostilité. Je le sens à mille petits détails. J’ai pourtant fait mon maximum pour me fondre dans les mœurs locales. Je me suis même soigneusement abstenu de faire le moindre usage de magie, même utilitaire. Du moins en public, bien sûr.
Naturellement, un inconnu surgi de nulle part en se disant amnésique doit éveiller les soupçons, et je ne serais pas le dernier à le tenir à l’œil. Mais pour ces gens, c’est plus basique que ça : je ne suis tout simplement pas comme eux.

Ce matin-là, un sergent harangue la foule sur le port depuis l’aube. Il dit chercher des volontaires suffisamment courageux pour oser défier les Landes elles-mêmes, des Héros (on entend bien la majuscule). Ou selon l’auditoire, il fait miroiter des terres nouvelles où tout est possible, et où il serait facile de s’enrichir d’une façon inouïe. Dans tous les cas, il s’agit d’embarquer pour une île nommée Séridia, au cœur de ces mystérieux îlots centraux.
Je ne peux m’empêcher de sourire : le despote local n’a aucun intérêt à ce que les Landes soient vaincues, c’est la peur qui soude la population autour de lui. Mais je reconnais son habileté : il fait d’une pierre deux coups pour pas trop cher. Il redore son blason en montrant au peuple qu’il fait quelque chose de concret contre les Landes. Et il se débarrasse des inactifs, des opposants, des poids-morts. Je suis certain que ceux qui prendront ce bateau ne le feront pas tous de leur plein gré.
Mais ce n’est pas mon problème. J’ai peu à peu renoncé à l’idée de retrouver un passé qui a toutes les chances d’être rempli de surprises désagréables. Et cette ville ne me plait pas. C’est lucide et sans illusions que j’embarque pour Séridia.

Je m’appelle désormais Hasdrubal. Je n’ai pas de passé. J’espère avoir un avenir.

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