[V]Le bourreau [achevé]

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
Gormeng
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[V]Le bourreau [achevé]

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A ma naissance ma mère m'a abandonné et j'ai été recueilli par la gilde des Exécuteurs des Hautes Oeuvres. Selon la tradition ancestrale, seul un enfant trouvé peut devenir bourreau.
J'ai été élevé parmi eux et suis devenu un des leurs. Le maître de gilde, Yaronka, était un Eldorian. Une aura de puissance planait en permanence sur lui ; pourtant il était loin d’avoir la physionomie la plus impressionnante parmi nous. Notre instructeur pour l'entraînement physique était un Galdur, Norrik, sans doute l’homme le plus fort que j’aie jamais croisé, hormis le fait qu’il n’avait plus sa main gauche. Les anciens racontaient qu’il l’avait perdue en combattant un chimérien à mains nues. Parfois, il faisait revivre des bêtes féroces pour nous exercer au combat. Dans l’enceinte de notre gilde cela n’a jamais posé de problème, contrairement au temps où c’est un Sinan qui était chargé de cette partie de l’entraînement. On dit, toujours d’après les anciens, que ce Sinan s’était un jour amusé à convoquer des créatures trop fortes pour ses élèves, ce qui avait eu pour effet de décimer la quasi-totalité de la promotion.
En tout cas, mes camarades de jeu, de toutes races, étaient comme moi destinés à devenir bourreaux. Je n'ai pas connu la joie de grandir dans un campement Bleu entouré de parents attentionnés. Tout ce que je sais du Peuple Bleu, je l'ai appris de mes lectures à la bibliothèque de la gilde, et de quelques uns des membres de ma race.


"Tu obéiras en tous points aux préceptes de la gilde."
"Tu ne chercheras pas à fonder un foyer car nul ne voudrait être enfant de bourreau."
Ces paroles résonnent toujours en moi quand je pense au rite d'admission. J'ai été admis. J'ai quitté les lieux et ai rejoint une autre ville où l'on m'a confié la tâche d'exercer mon art. J'étais en charge de la prison locale.
Dans mes moments de repos j'allais au lupanar du coin. C'est là-bas que j'ai fait la connaissance de la Bleue Jafra. Dans les premiers temps je la considérais indifféremment des autres. Mais après un certain temps, je n'allais plus que chez elle. C'était la seule qui me regardait vraiment, sans la peur, pour les plus craintifs, de subir un jour les affres de la torture, ni le mépris des autres pour ma charge. J'ai aussi rencontré quelques autres femmes, qui voulaient juste ressentir l'excitation d'être avec un bourreau.
J'ai exercé mon métier avec application, et certains disent avec talent. Mon épée d'exécution a servi de longues années. Par ailleurs, en tant qu'Homme Bleu, ma spécialité était l'exécution à la voix.
Dernière modification par Gormeng le 23 juil. 2010, 15:35, modifié 1 fois.
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Gormeng
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Re: Le bourreau

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L'exécution

Un jour, la prison reçut l'arrivée d'une jeune Femme Bleue, accusée d'avoir assassiné un notable de la ville. Vu la gravité du crime, elle fut condamnée à mort. La Voix Suprême retentit dans mon esprit comme à l'accoutumée :

*Obéiras-tu aux préceptes de la gilde ?*
-*Oui.*
*Accompliras-tu ce pour quoi tu as été formé ?*
-*Oui. J'obéirai.*
*Tu tueras la Bleue demain.*


Ce n'est pas le bourreau qui choisit le mode d'exécution, mais le chef de Justice. En l'occurrence c'était le bourg-maître, un Eldorian, et la victime n'était autre que son frère, qui était connu dans la ville pour assouvir ses penchants pervers avec les femmes. D'habitude la foule accourant lors des exécutions raffole des décapitations. L'exécution à la voix arrive en deuxième position. Cette fois-là, on me demanda de pratiquer l'étranglement.
Le moment venu, mes mains ne tremblèrent pas. Personne ne vit les larmes qui coulaient sous mon masque, et à travers mes yeux embués je crus même voir à la fin son regard exprimer du soulagement de quitter cette vie et ses déshonneurs.
Ce fut ma dernière tâche en tant que bourreau. Le jour même, j'ai quitté la prison, n'emmenant rien, pas même ma chère épée, juste de quoi payer le voyage vers les Îlots Centraux. Voilà mon histoire.


Ce que je n'ai pas précisé, c'est que la Femme Bleue était Jafra. Je l'ai exécutée proprement, à mains nues, serrant son cou si frêle jusqu'à ce que plus aucun filet d'air ne le traverse. Ai-je obéi en tous points aux préceptes de ma gilde ? Oui. Fingel me pardonne, je n'ai pas eu le courage de désobéir.
Dernière modification par Gormeng le 23 juil. 2010, 15:36, modifié 1 fois.
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Re: Le bourreau

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Souvenirs au coin du feu


Jafra, raconte-moi encore lorsque tu vivais au campement !

« C'était au matin, la rosée perlait sur les feuilles de palmier et le renard du désert ne s'était pas encore caché dans le sable. Nous avions voyagé toute la nuit avant de rejoindre l'oasis. J'aurais dû dormir pour récupérer de la fatigue du voyage, mais je ne cessais d'entendre et réentendre les Voix dans ma tête.
Au cours de cette nuit-là, environ à mi-chemin de notre destination, notre chef, Raswan, nous fit faire halte juste au pied d'une grande dune et nous dit ceci : "Frères, soeurs, voici l'endroit dont je vous ai parlé avant notre départ. Avancez comme je vous l'ai dit, surtout lorsque vous descendrez, et tout se passera bien."
J'observai mes parents qui se mirent à avancer d'un pas irrégulier, afin de ne pas réveiller les Esprits du désert. Je leur emboîtai le pas, évitant soigneusement de marcher comme eux. Afin d'apaiser mes craintes je fredonnais dans ma tête une chanson enfantine dont ma mère se servait pour me calmer. L'effet fut presque immédiat, et comme dans un rêve, j'arrivai sur la crête de la dune et me mis à descendre, au moment où j'arrivais au refrain. J'étais tellement dans la chanson que je ne me rendis pas compte que mes pas en avaient adopté le rythme. Ils provoquèrent une avalanche.
Mais ce sont les cris qui me tirèrent de la torpeur qui me gagnait. Devant moi c'était la débandade : chacun dévalait la pente sans plus faire attention à la cadence de ses pas, mais seulement à ne pas se faire piéger par le sable. D'ailleurs tout le monde s'en tira sans encombre. Lorsque j'osai regarder Raswan, craignant sa colère, je vis au contraire dans son regard écarquillé la peur, cette peur atavique que l'on ne peut maîtriser.
C'est à ce moment que les voix s'élevèrent. Alors qu'une multitude de grains de sable voltigeait tout autour de nous, les plaintes des Esprits se firent entendre. Sans aucune retenue, hommes, femmes et enfants couraient, couraient à en perdre haleine, essayant de mettre le plus de distance possible entre eux et la dune. Simultanément, les chants s'enflèrent, accompagnés du choc d'armes et de boucliers, comme si des guerriers manifestaient bruyamment leur ardeur avant une bataille. Moi je me surpris à y trouver une certaine beauté, tout en courant à toutes jambes, à moitié aveuglée par le sable et par une mèche de mes cheveux... »




Jafra, chante-moi encore un air du désert !

Chante encor vive source
Et reprends donc ta course !
Que gouttelettes pleuvent
Et ainsi nous abreuvent !
Petit écoulement,
Vital ruissellement,
Surgis là avec force
Pour que la vie s'amorce !


(Chant pour faire surgir l’eau lors de la création d’un campement)
Dernière modification par Gormeng le 23 juil. 2010, 15:37, modifié 1 fois.
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Re: Le bourreau

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Le rassemblement


Un jour, un grand regroupement Bleu se tint à quelque distance de la ville, pour intégrer de jeunes Bleus à leur vie d'adulte par l'intermédiaire d'une sorte de chant écouté et jugé par les plus vénérables de leur peuple.
Jafra était la seule de mon peuple qui eût jamais entendu mes chants. Elle m'encourageait souvent et m'expliquait que c'est ainsi qu'on devenait adulte dans notre peuple. J'avais beau lui répondre que j'avais passé la cérémonie d'initiation durant mon séjour à la gilde et que j'avais ensuite réussi mon épreuve de bourreau, elle me rétorquait invariablement que ça n'avait rien à voir avec la beauté d'un chant Bleu et la satisfaction d'être reconnu par les siens.

- Ma famille, ça a toujours été les apprentis bourreaux et nos instructeurs !
- Mais regarde donc, tu les as quittés il y a des années et tu vis comme un ours !
- Mon travail est toute ma vie. Et je ne suis pas seul quand tu me fais l'honneur de ta compagnie…
- Oui, et à quel prix ! Se voir dans cette cabane en cachette, de peur que quelqu'un découvre que tu partages une partie de ta vie avec une femme ! Tu parles d'une vie !


Je ne lui faisais jamais remarquer à quel point sa vie à elle devait être misérable car j'avais trop de respect pour elle et ses consœurs.

Le dernier jour, je me décidai et fis le trajet, habillé d’une tunique ample, de façon à camoufler mon gabarit inhabituel, conséquence des années d’entraînement accumulées depuis ma prime enfance.
Arrivé dans le camp, me faufilant entre les tentes, passant à côté d’enfants qui jouaient au renard et à la souris, je franchis un terrain réservé aux courses de chevaux et arrivai enfin devant une grande tente. Il n’y avait plus que deux Bleus à passer avant moi, une jeune femme souriante et un jeune homme ombrageux.
La jeune femme produisit un chant envoûtant, qui éveilla en moi une nostalgie telle que j’eus soudain une folle envie de faire partie de ce peuple et de vivre avec eux, mais une voix intérieure me rappela qu’il ne pouvait en être ainsi. Ensuite ce fut au tour du jeune Bleu, bien moins à l’aise et sans doute comme moi perturbé par le chant précédent. Il sortit la mine déconfite.
Puis vint mon tour. Si certains furent surpris par mon âge, ils ne le laissèrent pas paraître. Je présentai mon chant. Après s'être concertés, les sages le validèrent, expliquant que malgré une piètre voix pour un Homme Bleu, je m'étais exprimé de façon originale. L'un d'eux était visiblement contrarié par cette déclaration, ce qui me laisse à penser que je n'ai été admis que de justesse.
Le chemin du retour fut chaotique, partagé que j’étais entre la tristesse de quitter le camp et ses liesses, et la fierté de pouvoir dire à Jafra que j’avais réussi mon chant…
Membre de la gilde Ange

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