Les Méandres de la Nuit

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
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Elzeberith
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Les Méandres de la Nuit

Message par Elzeberith »

Il n'y a plus de porte, le toit effondré offre un abris sommaire, les pierres crient leur victoire sur le temps dans leur écrin de lichen, ravagées, marquées, cinglées des morsures des lames et des caprices du ciel.

Elle boite, c'est évident pour qui la connaît ce pas ne lui ressemble pas. Une lourdeur, à la cheville gauche peut être, ou plus haut. Elle traîne en tout cas suffisament du pied pour remuer la poussière ancestrale, le terreau des Landes et son odeur humide, réconfortante. Elle siffle entre ses dents, elle ne se soucie plus du bruit qu'elle peut faire, ici les gens sont sourds à tout, aux plaintes, aux injures, sourds et ...aveugles.
On dit corrompus.

Une vieille coiffeuse vermoulue a survécu aux pillards et aux monstres, le miroir enchassé dans le bois vernis est fendu et rayé, quelqu'un a amené un tabouret trop neuf pour l'endroit à son chevet, elle s'y assied après avoir pris soin d'enlever les boucles lourdes de ses jambières de cuir qui tombent à ses pieds dans un bruissement métallique délicat. Elle dégage avec grâce sa première jambe de l'armure, avec à peine plus de difficulté la seconde mais son visage crispé dément sa décontraction apparente.
La peau fine et tendre de sa cuisse est entaillée au dessus du genoux, la blessure est sale et suinte un liquide épais.

" Une essence, rien qu'une essence, et tu n'aurais plus mal".

Elle soupire d'un soupir impétueux.


Elle n'a pas mal. Elle ne veut pas avoir mal, elle supportera. A quoi bon tromper la douleur ? Elle n'est pas si faible !
Elle tend la main vers la coiffeuse et attrappe un linge blanc soigneusement plié. Elle en serre un coin entre ses dents pointues, et tire un coup sec avec sa main libre, une bande se déchire.

Elle sourit, satisfaite, puis se penche pour mieux voir la blessure. Elle gémit et tressaille en passant un doigt sur le bord de la plaie. Une perle de sueur dégouline le long de sa colonne.

" Quelques gouttes de potions, sur un blanc chiffon, et elle se dissiperait, comme un mauvais souvenir."

D'un geste rageur elle repousse les flacons qui ornent la tablette vernie. Le bris du verre effraie quelques rapaces nocturnes qui s'éloignent à tire d'ailes.
Son regard s'attarde sur le miroir, son beau visage morcelé, éparpillé, comme ... ses yeux noirs et profonds s'agrandissent, sa mémoire se déverse en elle. Avoir mal, pour ne plus penser, sans avoir la force de souffrir.

" Un, deux, trois, dans le froid des bois ..."

- Quand on joue avec les dieux enfant, ce sont eux qui jouent avec nous.
- Mais Vieille Mère, je lui ai écrasé la tête ! Je vous jure, je me suis défendue, elle a payé ! Celle là ne mordra plus personne.


La vieille sourit à cette trop belle enfant, dévissant un flacon au liquide noirâtre. La Nuit seule sait à quoi elle pense, l'aveugle voit là où les autres ne voient pas.

- Allez petite, serre les dents, tu n'auras plus mal après, mais pas un bruit ! La Nuit nous écoute, et pourrait bien déserter notre demeure si tu l'incommodais.
- Oui Zhuan'lhar.
- Et tu iras remercier l'araignée pour son sang versée.


Elle ne bronche pas, elle voudrait pleurer ou crier qu'elle ne le pourrait pas. Elle a mal pourtant, mais elle veut être forte.

"De quatre à six, le glas et ses vices..."

La vieille caresse ses cheveux. L'enfant s'enhardit.

- Zhuan'lhar, Abel ne sera pas battu n'est ce pas ? C'est l'araignée qui m'a mordu, tu le diras à Mère !
- Si ta mère et notre Noble Mère à toutes le veulent, petite, si elles le veulent.


L'enfant baisse la tête, elle ne dit rien. Elle sait ce que cette réponse signifie.
Elle soignée, choyée, lui comme un chien, battu. Et par bravade il dira qu'il ne sent rien, qu'il n'a pas mal.
Le fouet qui lézarde la peau, et elle, rien.


"Sept, huit, neuf, un poignard tout neuf ..."


La charpente craque à cause de l'humidité, elle secoue la tête.
Elle ajuste le bandage autour de sa cuisse en maudissant les dégats épars fruit de sa colère. Elle n'y a pas touché, si ça s'infecte, elle avisera. Elle a besoin d'avoir mal et de ne ressentir que cette douleur qui étouffe dans sa chair le désir et le chagrin.

Enfin, elle peut se reposer, et regarder la lumière blafarde des lunes d'airains innonder les ruines, et heureuse, elle murmure la vieille comtine pour la Nuit :

" Dix, onze et douze, les mains du seigneur sont rouges "
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Elzeberith
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Re: Les Méandres de la Nuit

Message par Elzeberith »

Un pas ...

Un rebond

Un pas ...

Elle s'arrête, essouflée, attentive. Figée, aux aguets, elle attend que le prochain le trahisse, que la peur du prédateur le pousse à continuer son inexorable fuite. Fuir, parce qu'il n'a plus d'autre choix. Parce qu'elle est plus forte, parce que l'excitation de ce jeu cruel accélère le battement de son coeur, fait frémir ses narines, parce que l'adrénaline est plus forte et que la victoire est merveilleuse.

Parce que c'est cruel.

Un rebond.

Les feuillages bruissent, les créations elfes sont traîtresses. Elle jaillit en direction du fourré jettant une pierre, l'animal roule sur le côté, se tord au sol la patte arrière brisée. Elle s'avance, sautillante dans sa démarche de ballerine, elle regarde le lapin qui râle de désespoir.
Pourrait-il ramper pour échapper aux doigts de sa chasseresse qu'il le ferait. C'est son instinct, à lui.


" Potiron et potion, pendons le, pendons le "



La belle s'agenouille avec respect et enserre le cou de sa proie entre ses mains, enfonçant ses deux pouces dans la fourrure moelleuse et chaude de vie, un sourire carnassier au coin des lèvres. Lentement le souffle quitte le corps, le gibier ne remue plus, un dernier spasme, puis rien...
Le regard de la bête est vitreux, vide de la vie qu'elle vient de lui prendre.

Vide.


"Potiron et Potion, pendons le pour de bon !"


Son sourire retombe, elle plisse les lèvres au bord de la nausée. Ses pupilles se dilatent, le froid cadavérique de sa proie gagne ses doigts qu'elle n'arrive pas à ôter.


"Pendons le, pendons le, le marmiton"


- Petite, les aiguilles et le Camphre, vite.

La jeune sombre s'active, les casiers des armoires d'ébènes craquent, les portes claquent, dans un ballet orchestré d'une main de fer la chamane va opérer, et la nuit peut être parlera.
Elle présente les longues aiguilles à la vieille qui hoche la tête, puis dépose le pot de Camphre sur le rebord de la table. Enfin Elzeberith relève le nez, et contemple le cadavre frais gisant sur la table de l'Haruspice.

C'est un espion Matriarcal, un jeune si on en croit le pommeau de sa dague sans fioriture autre que son insigne, sa gorge est ouverte d'une oreille à l'autre. Ses cheveux noirs forment un halot sombre autour de sa tête, il n'est pas beau, il n'est pas laid, il est quelconque, il est mort.

- Enfant, approche !
- Selon vos désirs Vieille Mère.
- Tu parles trop. Regarde. Le cadavre parle, de lui même.


L'index de la vieille montre quelque chose derrière l'oreille du mort, une marque tatouée à l'encre de boue : une araignée dévorant la lune.

- Zhuan'lhar, j'ai déjà vu ce blason quelque part.
- Tais-toi fille de la Nuit, tu ne sais rien. Tu m'entends, rien. Et surtout pas ce que cela signifie ?


Elzeberith se tait. Elle écoute. La réponse vient toujours à qui sait attendre. Elle regarde la vieille avec impudence.

- Ce sont des traîtres enfant. Un ordre qui s'infiltre, sème le chaos et trouble nos ténèbres. Tu ne dois jamais leur parler, tu m'entends enfant. Jamais. Fuis les comme le soleil dans sa course échappe à la Déesse.


" Potiron et poison, pendons le marmiton. "


Elle ne dit rien, elle se souvient pourtant, d'Abel lui parlant de ce rêve, de cette marque. De son rêve. Elle regarde le mort, croise son regard vide, désespéré, trahi. Le tumulte et la panique qui la gagne échappe à la Vieille qui continue son Laïus.

- Celui là est mort de la main des siens, il ne s'est pas débattu, il ne se méfiait pas de son assassin. Regarde enfant !
- Oui Vieille Mère. Voilà vos instruments.


La jeune présente le plateau sur lequel reposent les outils tranchants. La vieille sourit, pleine d'une fierté contenue.

- C'est toi qui t'occupera des aiguilles à présent. Il est temps.


Et méticuleusement, les deux femmes se plongent dans leur science pour faire parler les morts.
Et Elzeberith lui fermera les yeux, ne supportant plus de croiser ce regard qui l'étreint au delà des limbes.

Et un jour ... lui aussi sera peut être sur cette table.


"Pendons le, pendons le, pour trahison "


La nausée se dissipe, elle détache le lapin de son emprise et soupèse sa chasse d'un air appréciateur. Elle se lève, attache sa proie à un crochet qu'elle suspend à une lanière de cuir, puis tend l'oreille reprenant son chemin jusqu'à ce qu'un bruit ...

Un rebond.


" Poison et Trahison, pendons le marmiton "
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Elzeberith
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Les Méandres de la Nuit

Message par Elzeberith »

Le fer, le sel, le sang.

La moiteur du silence au pied de l'autel.

Sa voix.

"La Nuit est sombre, et pleine de terreurs."


Les accents rauques de son timbre, froid comme les pierres qui l'entourent, la percute. Un écho railleur persiste qui sème le trouble dans son esprit.
Quelques roses séchées émiettées dans une coupe. Puis le feu.
Les fumerolles s'élèvent lentement, remplissant son espace d'un nuage bleuté.

"Puissiez-vous Nous guider, ô Mère, parmi vos méandres..."

Elle inspire, prête à entrer en communion.
La lumière, blanche et aveugle.

- Petite !

Elzeberith relève la tête en sursaut, l'air coupable.

- Tu n'écoutes pas. Cesse de toucher ta marque et occupe toi des épines.

L'Aïeule ne se répètera pas une fois de plus, elle le sait. Elle rabat sa manche sur la brûlure marquée au fer qui depuis peu orne son poignet, et s'attèle à complaire à son aînée. Elle file à la remise attenante.

Elle se mordille la lèvre inférieure. L'audace et la curiosité sont souvent récompensées, souvent, pas toujours.
Elle inspire lentement.

-Zhuan'lh... Aïe !
-Tais-toi, fille du Sang. Je ne veux pas entendre de gémissement dans la bouche d'une sombre-née.
- Les épines...
- Donnent du relief à leur beauté. Et sa Grâce notre Matriarche réclame la beauté en sacrifice.


La vieille se tourne vers sa pupille.

- Comprends-tu enfant ? Une beauté sans piquant, n'est plus la beauté. Mais trop d'épines, et ce sont nos yeux qui saignent, incapables de flatter. La Mère exige toujours un sacrifice pour un don.

Et d'ajouter beaucoup plus bas...

- Et des sacrifices, nombreux tu en feras.
- Moi, je garderai mes épines, Zhuan'lhar.


Cette voix impérieuse, ignorante, lui semble creuse.

"...Et de votre sagesse éclairer nos erreurs..."

- Moi je les garderai, toujours.

Ses genoux heurtent les dalles ocres du temple. Elle suffoque, émergeant avec peine de son souvenir.
La chair de poule fait frissonner sa peau. Elle se débarrasse de son aube de soie moirée comme d'un carcan, balayant les offrandes de l'autel de gestes éperdus.

Quelque chose vient d'ébranler son âme, plus que sa foi.
Elle se frictionne les bras, faisant les cent pas comme un animal en cage. L'angoisse glisse doucement hors d'elle.
Elzeberith s'arrête face à l'autel, droite mais humble.

- Que suis-je alors, si je ne suis plus qu'épines ? Que suis-je alors, si je n'en ai plus ? Que suis-je, si je ne suis que servante ? Qui suis-je, si je n'ai plus rien pour vous à conquérir, et des autres à protéger ?

Le silence et les échos cruels projettent indéfiniment ses paroles.

- Je n'ai plus rien à sacrifier !

Elle sent un noeud remonter dans sa gorge, éclater quelque part entre sa poitrine et son coeur. C'en est trop. Elle tourne les talons, et fuis, loin, loin vers la surface du monde, loin mais jamais assez pour se cacher d'Elle.

"Car la Nuit est Sombre, et pleine de Terreurs."
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Elzeberith
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Les Méandres de la Nuit

Message par Elzeberith »

L'annonce était tombée, les sombres étaient orphelins.
Il y avait eu l'incrédulité, le doute, la consternation. Et enfin, le vide.

Ils étaient orphelins. Leur Matriarche avait renoncé à son titre.

Elle s'était confortée dans l'idée que les choses s'arrangeraient seules. Comme toujours. Qu'elle pourrait comme ses sœurs et ses frères se reposer sur d'autres épaules.

Mais rien.
Rien.

Quelque chose manquait. Et personne ne venait le combler.
L'idée n'avait pas eu le temps de faire son chemin, elle était déjà exclue avant de trouver la voie de sa raison. Tout aurait dû se résoudre. Il en avait toujours été ainsi. Quelqu'un avait toujours décidé pour elle. D'un nouveau-né trop chétif qu'on épargne, en passant par son amère mission sur les îlots, puis l'initiation de Prêtresse...
Alors celle qui déciderait maintenant devait venir. Mais elle ne venait pas.

Rien.

Ils commençaient à parler d'elle.
Elle ne pouvait plus supporter cette attente. Mais rien ne pouvait soulager ces ténèbres, rien.
Même le repos devenait tourmente, la ramenant sans cesse à des souvenirs qu'elle s'était juré des Nuits entières, de refouler sous les cendres de sa colère.

Le temple lui semblait vide.
Comme elle.

L'étreinte glacée du doute la poursuivait bien au delà de Naralik.
Elle savait qu'elle ne fuirait pas assez loin pour y échapper. Elle avait déjà goûté ce désespoir sans succès.

Elle se résigna finalement. Elle poussa la lourde porte de la salle du Conseil. Il fallait qu'elle sache.

Vide.

Ce silence était moins hostile que celui du sanctuaire de sa Déesse.

Elle marcha jusqu'à l'estrade.
Elle se sentait minuscule face à l'immense trône d’ébène, dont les onyx serties dans les accoudoirs semblaient la toiser d'un air sévère.

Lâche...
Lui disaient-elles.

Elle commença un étrange manège, s'approchant, un pas en avant, s'acculant, trois pas en arrière.

Non ! Elle n'avait jamais voulu ça !

Jamais ? Disait le silence.


"Jamais, Jamais !" Hurla-t-elle aux ténèbres.

Mais aucun écho ne venait appuyer cette supplique.

"Jamais..." Sa voix lui paraissait moins sure, moins forte.

Elle ferma les yeux. Cherchant à puiser dans sa si familière amertume.
Réminiscence. Les souvenirs vinrent submerger ses dernières résistances. Sa mort à lui, la drogue du voyage, les yeux de Kharya à leur rencontre, la première extase des prêtresses et tout bas, les mots de l'aïeule ...

"Vis et vois pour Nous."

Elle suffoqua un moment, émergeant de sa vision. La Colère était là, nette, distincte, salvatrice. Les temps étaient différents maintenant !

Elle murmura entre ses dents ce qui semblait être un encouragement pour elle-même.
Et lentement, avec retenue, alla s'asseoir sur l'immense trône Matriarcal, taillé pour des femelles plus fortes et plus grandes qu'elle.


Elle releva le menton avec tout l'orgueil et la certitude qu'elle put puiser en elle. Qu'ils viennent donc !
Il était temps de vivre avec courage pour Eux. Elle était prête à affronter son destin et pas à le subir.
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Elzeberith
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Message par Elzeberith »

Où et quand sommes nous ?
Eveillée ou endormie. Sa conscience ronronne tout bas, fondue dans le duvet de l’abandon, tapie contre la chaleur de l’oubli. Ce trouble est tellement agréable.

Quelle heure peut-il bien être.
Est-ce que quelqu’un s’inquiète d’elle.
Est-ce que…

Quelle importance…

Un faible soupir la tire de sa propre contemplation. Elle pourrait bouger, ce serait peut-être l’éveil, mais pas encore. Une pensée bouscule sa rêverie, comme la flamme vacillante d’une bougie interrompt brièvement l’obscurité tranquille d’un lieu condamné.


« Sa Noblesse veut te voir. »

De la gentillesse dans la voix de l’aïeule. Plus même, de la pitié.
Elle a envoyé la vieille, ou c’est la vieille qui a décidé de venir elle-même porter cette requête.

Perdue dans le néant qui l’a englouti depuis le dernier souffle de son unique, l’elfe aux cheveux de lune ne répond pas. Il n’y a rien à dire. Elle ne bronche pas. Un instant l’idée de désobéir traverse ses ténèbres, l’audace d’être punie, de sentir quelque chose.
Mais il n’y a plus de place pour ce genre d’audace. Plus de place pour la beauté.

Zuan’lhar lui presse gentiment la main, et suit du regard ce que la jeune fixe obstinément : la table vide où elles lisent les morts.

«Viens petite. Tu ne dois pas faire attendre Notre Mère. »

Il y a un avertissement dans ces paroles. De l’inquiétude peut-être.

Quelle importance….

L’ombre livide suit l’aïeule. Aucun mot ne vient émailler le parcours des deux elfes à travers les couloirs de pierres froides. Les quelques sœurs ou frères croisés n’ont pas de visage.
La garde les laisse accéder à la salle du trône d’où quelques notes de musique s’échappent. De la musique…tiens.

Il y a du monde, beaucoup trop de monde : des lianes de courtisanes autour du trône, et une grappe de mâles servants. D’autres yeux anonymes. Quelques prêtresses, sa mère aussi peut-être. Une foule

Et Elle, en Maîtresse, bouffie par ses grossesses successives et de trop nombreux fingeliens à ne rien faire.

La Nuit.
Les conversations cessent. Les dernières notes de la ballade s’estompent elles aussi. Les abeilles dardent leurs yeux avides sur les deux sombres. Zuan’lhar lâche sa main, la laissant seule face à la ruche.


« On m’avait dit que vous étiez belle. Mon Enfant.»

Il n’y a rien à répondre. Certaines flagorneuses s’autorisent un murmure.

« La beauté doit être partagée, sans quoi elle meurt. N’êtes vous pas de mon avis, Elzeberith ? »

Les mots s’insinuent en elle et la transpercent, la sortant un peu de son hébétude. Elle se redresse et rend tant bien que mal son regard à celle qui la confronte.

« On m’a dit trop de bien de vous. Il serait cruel de me priver plus longtemps de vos épines, nous sommes tous de cet avis. Vous êtes à moi dorénavant, jusqu’à ce que j’en décide autrement.
- Je suis née pour servir.
S’entend-elle répondre.
- Vous pouvez disposer. Reparaissez sans tarder dans ma toile, et sans cette mine chagrine indigne de la splendeur qu’on m’a vanté. »


La ruche a repris son bourdonnement, affolée par cette nouvelle pleine de sombres promesses. Elzeberith réalise qu’elle a cessé de s’appartenir à cet instant. Elle doit tirer un trait, vite, et ne plus revenir sur ces lignes. Jusqu’à ce que le temps en décide autrement.

Jusqu’à maintenant.

Les yeux toujours fermés, bercée par sa respiration, elle souffle elle-même sur la bougie qui éclaire ses vieux souvenirs. Les laissant appartenir au passé.

Elle s’étire un brin paresseusement et reste enlacée dans la volupté du sommeil.

Le jour ou la nuit, aucune importance.
Elle est libre.
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Elzeberith
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Les Méandres de la Nuit

Message par Elzeberith »

Tout en elle est saturé par la crécelle incessante des insectes, le jeu d’ombre et de lumière aveuglante sous la frondaison épaisse de la jungle et cette atmosphère si lourde qu’on croirait respirer du coton.

Son corps gracieux est à l’abri gardé par les cadavres qu’elle a relevé. Imitant leur maîtresse, les créatures regardent fixement le félin qui passe, seul. Il feule à l’encontre de la sombre intruse et de sa curieuse progéniture.
Son attention lâche un bord de sa conscience et ses doigts perdent un bref instant le contact de son sceptre d’Art, l’essaim nécromant qui l’entoure se disperse. Elle rassure machinalement sa prise et comme par enchantement les non-morts reviennent à ses pieds.

Le manège se répète. Encore. Et encore. Une fois de plus. La lassitude finit par engloutir sa résolution. Elle repose le bâton, libérant les morts de sa volonté.

L’épuisement et l’étouffante langueur du lieu terrassent enfin ses murailles.


Elzeberith rabat derrière elle la lourde tenture qui cloisonne l’intimité de sa cellule. Le matin viendra bientôt, elle n’aspire qu’à s’allonger et oublier quelques heures qui elle est, où elle est. Un fingelien déjà, Grande Mère…
Elle lève les yeux et…

- Que faites vous là ? Vous êtes chez moi ! Sortez !

L’étranger qui lui fait face ne bronche pas, ils se jaugent un instant. Il lève les mains en signe d’apaisement. Elle avale péniblement sa salive et répète d’une voix hachée par la tension.

- J’ai demandé ce que vous faisiez là.
- Sa Noblesse m’a envoyé à vous en gage de son affection.


Son affection… depuis quand en aurait-elle ? Elle le dévisage cherchant du sens à ces paroles. Il ne s’est pas moqué. Il croit ce qu'il dit. Il lui sourit et sur ce visage se superpose un autre souvenir. La ressemblance n’est pas une coïncidence.
Elle se radoucit, elle est tellement fatiguée.

- Je crois que c’est chose faite. Vous pouvez disposer.

Le sombre mâle fait un pas vers elle, puis un autre. Elle s’attend à ce qu’il passe devant elle et s’en aille. Au lieu de quoi, il s’arrête et pose sa main forte sur son bras, se penchant vers elle.

- Vous ne comprenez pas Elzebe…

La chaleur de cette innocente étreinte déchaîne un sursaut de colère. Non, non il n’a pas le droit. Cela au moins lui appartient. Il n’y a plus trace de sympathie dans ce qu’elle éprouve pour son visiteur.

- Ne me touchez pas ! Allez vous-en, Maintenant !

Sa voix s'égare dans les aiguës. Résigné, le servant se retire. Une pointe de regret pique un instant l'esseulée puis s’efface.

Il sera battu durement pour cet échec. Comme tout ceux qui le suivront, non sans heurts. De cela aussi, ils feront une chanson.
Elzeberith sait depuis longtemps que ce petit jeu ignoble ne cessera que si elle cède. Pourtant elle résiste, pour elle, pour se rappeler qu'un jour elle s'est appartenue. La rancune grignote petit à petit toute la place dans son âme vide jusqu'à être son unique but, le seul rempart pour endurer les affronts d'un fil sans fin.

Une branche craque derrière elle et la fait sursauter.

D'une main elle dégage les mèches collées à son front. L’étincelle de vie qui animait ses monstres périclite. Elle ramasse son arme, rassemble sa petite troupe et lui insuffle à nouveau un peu d’élan, puis s’éloigne.
Nul soulagement, nulle résignation. Elle va.
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Elzeberith
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Jusqu'au matin

Message par Elzeberith »

Sa main agrippe la pierre de l’autel, l’autre serre son cœur là où quelques instants plus tôt la nuit s’échappait d’elle par le fil d’une dague maudite.
Il y a du sang, son sang qui s’étale en fleurs et macule sa tunique et sa peau. Pourpre sur blanc.

La douleur est là, elle perçoit plus qu’elle n’entend vraiment les échanges et le mouvement de recul de ses sœurs autour d’elle.
Chercher l’air lui fait mal autant que d’ouvrir les yeux.

Toutes des sorcières !

Elle se redresse assez pour voir les grimaces de dégoût surpris des femelles et leurs regards réprobateurs. Une voix s’élève et lui ordonne de partir, à elle ?! On dépose un anneau magique de force dans sa paume tremblante.

Elle se voit enfin, pâle. Sa peau est de nacre et non plus de suie. La panique se saisit d’elle dans une question vaine. Qu’est ce qu’ils lui ont fait ?

Des commentaires s’échappent, des voix connues qui prônent la violence, la torture. Des voix sinistres.

Son elfe est là quelque part dans ce monde qui bascule. Mais où ?

Une des filles de Lith s’autorise une offense. L’injure la réveille d’avantage que les menaces alentours et elle se lève pour rendre le coup.
Les chacals affamés resserrent leur cercle, tout prêts à lancer la curée.

Il n’y a plus d’autre issue que de fuir, partir maintenant. Peu importe de savoir où. De toute façon c’est trop tard, Déesses et Dieux ont déjà joué la partie aux dés.

La magie de la bague l’emporte à l’abri loin de ses bourreaux. Elle se retrouve désespérément seule et perdue, étrangère.
Hébétée, elle s’effondre en sanglots convulsifs, incapable de penser plus que l’horreur de la situation.



Tout ce chemin pour en arriver là…



Et puis il est là.

Il la cajole, la console, la rassure.
Il prend de son chagrin et de sa peur.
Il la berce jusqu’à ce que la peine prenne la teinte du soulagement .

Il sera toujours là.
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Elzeberith
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Re: Les Méandres de la Nuit

Message par Elzeberith »

L'elfe se penche prudemment au dessus de l'onde, une bottine sur l'herbe grasse et ferme, l'autre sur un rocher instable. Ses jupes l'encombrent un peu, elle en a coincé l'ourlet dans le haut de ses bottes. Elle tire un seau du torrent glacé et le hisse sans ménagement sur la berge.

Elle essuie ses doigts gourds et abîmés sur le bas de son tablier au tissus si doux qu'on dirait le duvet d'un oiseau. Elle devrait en prendre soin de ses mains, appliquer un onguent dessus pour aider à la cicatrisation. Elle le sait. Il y a toujours cette impression étrange, de moins en moins tenace, à contempler ses paumes. Les mains d'une autre et en même temps les siennes, toujours les mêmes mais d'ivoires, comme son visage si semblable et si différent, en blanc.

L'Aventure, Lealth, l'Aventure !

Cela fait longtemps qu'elle attend. Ce n'est absolument pas rationnel, elle le sait parfaitement. Mais le rationnel... ce n'est pas vraiment sa préoccupation majeure. Elle a passé beaucoup de temps à craindre, à réprouver, mais la logique, non.
Peut-être qu'il a fini par partir sans elle ? Ou bien s'est-il perdu pour ne jamais revenir ? Il y a des chemins qui ne promettent pas de retour. Elle le sait. Chaque matin son reflet le lui rappelle, chaque jour elle y répond par un sourire, qui narquois, parfois las, souvent simplement heureux. Elle n'a plus besoin d'être quelqu'un, elle est simplement elle.

Elle n'a pas pris de décisions depuis longtemps et s'est laissée portée par le cours du temps, comme le font les enfants des tuvars. Mieux, elle a pris goût à cette vie sans contrainte aucune, la liberté totale ou presque. Car elle l'attend malgré tout, sans savoir si elle attend plus que le souvenir. La décision serait tellement facile à prendre, aller de l'avant, laisser une fois de plus le passé dans son cocon des îlots. Mais elle a promis, elle lui a dit :

Aussi longtemps que le jour se lève...

Elle se doit au moins à elle de tenir cette promesse et de savoir s'il reviendra, dans combien de jours, s'il reviendra seulement. Et vers qui, et vers quoi, et surtout, comment.
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