L'intimité promène ses regards dehors

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
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Phedre
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L'intimité promène ses regards dehors

Message par Phedre »

C’est un cahier en cuir de sanglier à reliure emboîtée. Il mesure un doigt et demi de long et atteint trois doigts de haut. A l’intérieur, le papier est d’un jaune durci par le temps. Pourtant, seules les quelques premières pages sont noircies. Comme si sa propriétaire avait décidé d’attendre que le temps les abime avant d’y coucher ses idées. Dès les premières lignes, on comprend qu’il s’agit là d’une espèce de journal de bord. L’écriture est excessivement appliquée.
Margrave de Pierre Blanche
Chevalier de la Prompte et Forte Poigne
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Phedre
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Re: L'intimité promène ses regards dehors

Message par Phedre »

La chasse.

Certes, les premiers jours avaient été douloureux. Pas seulement pour ma fierté, que je n'ai jamais souhaité aiguiser outre mesure ; mon corps fatigué se trouvait aux premières lignes. Il y avait eu les infections provoquées par les morsures de rat. Les bleus causés par la charge d’un cerf. Les griffures de faucon. Devrais-je aussi mentionner les assauts répétés des loups ? Humiliations. Il me semblait devoir tout réapprendre. Le fruit de mon entraînement, ces longues heures passées dans le froid de V… avaient déserté mes poings si robustes. Mon jeu de jambes grinçait comme une vieille porte qui supplierait qu’on l’abatte. Et je récoltais parfois l’amertume de ceux qui se demandent encore s'ils n’ont pas commis la plus grande erreur de leur vie.

Mais après tout, pensais-je aussi, chacun avait eu son lot de faiblesse et semblait s’en être accommodé par la grâce des épreuves. Je décidais de consacrer ces prochains mois à cette lutte. Mon tempérament ferait le reste.

Et il le fit bien. A mesure que les jours avançaient, je progressais ; reprenant vigueur et dextérité. Je courais après les pumas. Les gargouilles et gobelins devinrent mon pain quotidien. La satisfaction émergeait. Mieux encore, voir mes facultés réapparaître comme au sortir d’une longue maladie, me plongeait dans un enthousiasme difficile à maîtriser. Mes équipées s’accompagnaient souvent de ces cris joyeux qui désencombrent l’hostilité des caves et grottes où je m’isolais. Mon plaisir était proportionnel à ce que j’avais pu oublier. Une première victoire. Restait à la célébrer. Mais avec quoi ?

***

On aurait pu remplir un lac d’eau glacée dans ses yeux d’une profondeur extrême. Difficile d’estimer la taille de ses griffes, tant ses poils recouvraient tout. Mais lorsqu’il se mouvait dans ce silence mortel propre aux plus grands tueurs, lorsqu’il déployait ses hanches, on comprenait qu’il était fait de muscle et d’acier, et que la graisse avait depuis longtemps abdiqué à habiter ce corps noble et triomphant. Je lui avais donné un nom. Mülglîn. Et chaque jour je me renseignais sur mon ennemi. Il vivait comme un baron dans la forêt de Pierre Blanche sans se soucier des dangers extérieurs. Vanité. Un matin, je l’attendis à la source du Lac Serpentine, là où il avait coutume de se désaltérer. Ici, nulle place pour la ruse ou la tromperie ; ce n’est pas ma façon de faire. Je n’avais que mes poings et pieds pour l’accueillir.

Un éclair de haine passa dans ses yeux immergés quand il me vit. Il sentait ma présence depuis quelques temps sans jamais me voir. J’avais toujours pris le soin de couvrir mes traques. Grondement. Müglîn se dressa sur ses pattes arrière. L’instant d’après nous étions à terre, chacun cherchant le point faible de son adversaire, crocs et griffes. Sa force était considérable, il m’enserra. Cela ne dura pas. Je l’avais savamment étudié.

Ce soir-là, je festoya de sa viande sous un plafond d’étoiles, rendant hommage à cet adversaire digne et respectable. En ce qui me concerne, je m’en suis sortie avec une honorable griffure au bras droit.

Souvenir de Müglîn : un sacré ours !
Margrave de Pierre Blanche
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Phedre
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Re: L'intimité promène ses regards dehors

Message par Phedre »

Exploration.

Cette île me paraît bien large, malgré tout. On sent pourtant en son sein comme une ombre inquiétante qui ramène constamment à elle tous les êtres épris de lumière et de liberté. Contradiction ? Les espaces sont vastes et les cieux dégagés. J'aime respirer cette fraîcheur sauvage qui fait tant défaut aux cités eldorianes, sans cesse grandissantes, et sales, et grisantes. Chaque région possède presque son propre climat, sa faune. Le nord-ouest est désertique, à l'exception peut-être de la forêt elfe, qui me semble différente en bien des aspects des labyrinthes que les explorateurs content sur le continent. Peut-être est-ce pour cela que les autochtones la nomment "Désert des pins". Les terres au sud, sont d'une aridité confondante.

A Pierre Blanche toutefois, les arbres sont majestueux. Ils reflètent davantage l'idée que je me faisais de l'habitat des elfes. J'aime la clairière aménagée à l'endroit du dépôt, comme l'étang paisible situé en plein cœur des chênes centenaires. L'entrée de la grotte à demi immergée est ravissante. Il me tarde d'aller la visiter ; je n'ai eu le temps que de l'embrasser du regard. J'ai découvert un immense amphithéâtre, chez les Hommes Bleus, par malchance vide cette fois. J'espère pouvoir y retourner un soir de représentation.

La côte sud-ouest, par ses marécages, est décevante. Je n'y passerai pas mes journées. D'autant que le vin des Morcraven semble réunir la pire espèce de poivrots. Partout, des caisses pleines de bouteilles s'entassent à ne savoir qu'en faire. Triste réalité. Je me console pour l'instant avec leurs runes, dont l'usage est d'une simplicité enfantine. De Naralik, je n'ai vu qu'un ensemble assez terne de maisons mal rangées. Je ne sais pourquoi les quelques rares habitants que j'ai croisé s'attachent à cette terre triste et hostile. J'ai échappé aux dangers de la péninsule de Zork'len, du nord au sud, à la pointe de mon épée. Le corps d'un cyclope tapisse mon chemin. Je n'ai pas souhaité visiter la Cité du Port, sa population ne m'attire guère.

Le nord, en revanche, avec ses montagnes et ses écueils, fut à la hauteur de mes espérances. L'architecture simple, sobre et martiale de Nord-Thyl convient à mon tempérament. J'apprécie aussi la façon de vivre des nains, tant joviale que bourrue. J'ai enfin pu goûter le fameux plat d'ours que m'a conseillé le forgeron Nehiak, rencontré plus tôt sur l'île du Trépont. Ce ne fut pas évident. J'avais pourtant demandé à l'aubergiste de me le servir sans alcool, elle me le présenta, dégoulinant d'orge : "mais la bière c'est pas de l'alcool, ma pt'ite !". Permettez-moi, madame, d'en douter !

Il me tarde aussi de découvrir le palais dédié à Fingel, à Tarsengaard. J'espère secrètement que les galdurs, nobles combattants qui habitent ce territoire, ne sont pas aussi à l'origine de cette construction. Nous, eldorians, sommes plus à même de bâtir un monument qui ai autant d'allure que de posture. Pour l'instant, de Tarsengaard, je n'ai emprunté que les étroits couloirs qui mènent aux ruines d'Eldorion.

On parle beaucoup d'une autre île, Irilion, seulement accessible par un bateau aux vertus magiques qui mouille dans un port dont la localisation demeure secrète. Mais je pense avoir découvert comment prendre place à bord.

Margrave de Pierre Blanche
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