La disparition
Publié : 21 juin 2019, 10:18
Oh, elle avait bien eu le choix. La deuxième réunion de la chambre approchait, mais le soldat qui lui avait glissé cette confidence assurait que ce ne serait qu'une question de jours. Alors ? Préparer patiemment son argumentaire, affuter tranquillement ses armes, ou céder aux sirènes de l'épique ? Le caractère de Phèdre promettait toujours une danse solitaire au bord des crêtes. Il y avait quelque chose de religieux dans cette coureuse folle si peu portée aux protocoles et autres liturgies d'apothicaire. Chaque pas arraché à la Mort apportait une respiration supplémentaire ; celle qui aide, non pas à exister, mais bien à vivre. Car seule la viande gagnée avait du goût. Quel que soit le prix du danger.
Pour bien vivre, le danger devait être omniprésent. Comme une ombre qui ne dérange pas notre solitude. Alors comment bien vivre quand la vie elle-même perd sa valeur à ne jamais la risquer, ici, sur ces terres maudites, qui excitent plus l'instinct de conservation qu'une boulimie pour la survie ? Il fallait compter sur les autres, faire de chaque vie mortelle sa propre vie, la défendre jusqu'au bout, avec l'angoisse le matin de se réveiller en la croyant perdue ; accumuler les risques puis faire tapis dans le noir. Le Val d'Alganiel. Elle savait qu'elle jouait avec le feu. Non, elle ne savait plus. C'était trop tard, c'était trop loin. Il fallait bien nourrir l'incertitude. Faire courir la possibilité d'un échec, tirer à pile ou face avec l'infini. Ne jamais être sûre, jamais, pas de confort, pas de confiance, sinon quoi, sinon, sinon on n'était plus vivant tout simplement, on perd l'allégresse, et avec l'allégresse l'illusion d'avoir capturé quelques moments d'éternité. En bref, sa vie était une course sans fin dans le cercle de l'éternel retour. Quitte à y sacrifier quelques pions pour courir plus vite.
On oublie son nouveau périple. On la retrouve dans les montagnes d'Orvale, elle marche, elle la cherche cette compagnie de montagnards. Ils ont établi un camp au nord, au pied de ce mont que l'on aperçoit à Pierre Blanche seulement depuis les hauteurs des dents d'Elavro. Pour ces soldats, il a commencé là, ce rêve. Par un crépuscule qui précède une nuit sans sommeil. A l'ouest, les contours d'Orvale sont soulignés par les derniers éclats rouge sang du jour. Surtout ce mont qui se détache des autres. Il n'a pas de nom, mais avec les derniers nuages, il prend la forme d'un visage, un visage qui vous dit, "viens, monte !". Et déjà les nuages passent, et le visage s'efface dans la nuit.
Ce soir-là, Phèdre est avec eux. Elle leur tourne toujours autour. Désespérément. Elle voudrait se faire adopter. Trouver quelque familles de rêveurs, de chasseurs d'absolus. Les montagnards sont de cette race là, fière et noble. N'importe quel prétexte est bon pour se joindre à eux. Il y avait quelques pirates qui se cachaient encore du côté d'Eldorion. C'est pour cela qu'on les voyaient tous sur les remparts, c'est pour cela que tous avaient reçu l'appel du visage dans la montagne, c'est pour cela que, depuis, grandissait un feu dans le coeur des hommes.
Il n'a pas été difficile de convaincre une hiérarchie en mal d'exploits. On pourrait aussi y bâtir un avant-poste en haut duquel tout Séridia serait visible. Qu'en savent-ils ? Mais on accepte, on hoche la tête on dit bonne idée allez-y. Ah oui, ce mont est réputé infranchissable. Personne n'y est parvenu. Là-dessus les explications vont bon train. Certains prétendent que les premières bosses sont hantées par les fantômes de ceux qui ont échoué. D'autres avancent que c'est la résidence des Féaux. Et puis quelques uns disent que c'est là le coeur de l'île, qu'à y grimper, tout Séridia s'écroulerait. Mais rien n'arrête celui qui rêve. Son rêve est devenu légitime par le défi lancé par les verticales.
Donc elle est là, en pleine montagne, à la recherche de la compagnie. Elle a payé cher l'information pour s'infiltrer parmi eux. Elle croit quoi ? Arriver la première ? Baptiser ces hauteurs du nom de la Régente ? Prouver qu'elle vaut bien quelque chose ? Mais trop tard, il fait déjà nuit, impossible de rebrousser chemin il faut camper ici Phèdre. Elle s'éloigne des sentiers pour trouver un abri. Un peu trop loin peut-être. On ne voit plus rien. On ne trouve rien non plus. On persiste. On ne pense pas à demain, jamais, peut-être s'est-on rapproché du but. Il fait trop froid, il faut redescendre. Avais-je pris la voie de gauche ou celle de droite ?
Au matin, aucun repère. Le ciel est gris, il pleut. Où est le soleil ? Tout a disparu.
Après un temps à errer, elle plonge dans une forêt. Ce n'est pas une forêt comme les autres, non, à la place des arbres, il y a des statues. Des ours, des soldats, des chimères, elles sont toutes figées dans du granit ou du calcaire. Parfois, de gros blocs gisent. On croirait une ancienne carrière. Plus elle s'enfonce, plus les statues sont recouvertes de mousse. Au fond, une chaumière. Un mince filet s'échappe du toit.
Pour bien vivre, le danger devait être omniprésent. Comme une ombre qui ne dérange pas notre solitude. Alors comment bien vivre quand la vie elle-même perd sa valeur à ne jamais la risquer, ici, sur ces terres maudites, qui excitent plus l'instinct de conservation qu'une boulimie pour la survie ? Il fallait compter sur les autres, faire de chaque vie mortelle sa propre vie, la défendre jusqu'au bout, avec l'angoisse le matin de se réveiller en la croyant perdue ; accumuler les risques puis faire tapis dans le noir. Le Val d'Alganiel. Elle savait qu'elle jouait avec le feu. Non, elle ne savait plus. C'était trop tard, c'était trop loin. Il fallait bien nourrir l'incertitude. Faire courir la possibilité d'un échec, tirer à pile ou face avec l'infini. Ne jamais être sûre, jamais, pas de confort, pas de confiance, sinon quoi, sinon, sinon on n'était plus vivant tout simplement, on perd l'allégresse, et avec l'allégresse l'illusion d'avoir capturé quelques moments d'éternité. En bref, sa vie était une course sans fin dans le cercle de l'éternel retour. Quitte à y sacrifier quelques pions pour courir plus vite.
On oublie son nouveau périple. On la retrouve dans les montagnes d'Orvale, elle marche, elle la cherche cette compagnie de montagnards. Ils ont établi un camp au nord, au pied de ce mont que l'on aperçoit à Pierre Blanche seulement depuis les hauteurs des dents d'Elavro. Pour ces soldats, il a commencé là, ce rêve. Par un crépuscule qui précède une nuit sans sommeil. A l'ouest, les contours d'Orvale sont soulignés par les derniers éclats rouge sang du jour. Surtout ce mont qui se détache des autres. Il n'a pas de nom, mais avec les derniers nuages, il prend la forme d'un visage, un visage qui vous dit, "viens, monte !". Et déjà les nuages passent, et le visage s'efface dans la nuit.
Ce soir-là, Phèdre est avec eux. Elle leur tourne toujours autour. Désespérément. Elle voudrait se faire adopter. Trouver quelque familles de rêveurs, de chasseurs d'absolus. Les montagnards sont de cette race là, fière et noble. N'importe quel prétexte est bon pour se joindre à eux. Il y avait quelques pirates qui se cachaient encore du côté d'Eldorion. C'est pour cela qu'on les voyaient tous sur les remparts, c'est pour cela que tous avaient reçu l'appel du visage dans la montagne, c'est pour cela que, depuis, grandissait un feu dans le coeur des hommes.
Il n'a pas été difficile de convaincre une hiérarchie en mal d'exploits. On pourrait aussi y bâtir un avant-poste en haut duquel tout Séridia serait visible. Qu'en savent-ils ? Mais on accepte, on hoche la tête on dit bonne idée allez-y. Ah oui, ce mont est réputé infranchissable. Personne n'y est parvenu. Là-dessus les explications vont bon train. Certains prétendent que les premières bosses sont hantées par les fantômes de ceux qui ont échoué. D'autres avancent que c'est la résidence des Féaux. Et puis quelques uns disent que c'est là le coeur de l'île, qu'à y grimper, tout Séridia s'écroulerait. Mais rien n'arrête celui qui rêve. Son rêve est devenu légitime par le défi lancé par les verticales.
Donc elle est là, en pleine montagne, à la recherche de la compagnie. Elle a payé cher l'information pour s'infiltrer parmi eux. Elle croit quoi ? Arriver la première ? Baptiser ces hauteurs du nom de la Régente ? Prouver qu'elle vaut bien quelque chose ? Mais trop tard, il fait déjà nuit, impossible de rebrousser chemin il faut camper ici Phèdre. Elle s'éloigne des sentiers pour trouver un abri. Un peu trop loin peut-être. On ne voit plus rien. On ne trouve rien non plus. On persiste. On ne pense pas à demain, jamais, peut-être s'est-on rapproché du but. Il fait trop froid, il faut redescendre. Avais-je pris la voie de gauche ou celle de droite ?
Au matin, aucun repère. Le ciel est gris, il pleut. Où est le soleil ? Tout a disparu.
Après un temps à errer, elle plonge dans une forêt. Ce n'est pas une forêt comme les autres, non, à la place des arbres, il y a des statues. Des ours, des soldats, des chimères, elles sont toutes figées dans du granit ou du calcaire. Parfois, de gros blocs gisent. On croirait une ancienne carrière. Plus elle s'enfonce, plus les statues sont recouvertes de mousse. Au fond, une chaumière. Un mince filet s'échappe du toit.