Récit de mes origines

Ici, l'on conte des chroniques relatives aux îlots centraux
Kruul
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Inscription : 11 mars 2007, 22:23

Récit de mes origines

Message par Kruul »

Dans la vallée d'Illumen, à la tombée du jour, quelques temps après son arrivée dans les Landes, les yeux noyés dans les flammes au dessus desquelles un lapin est en train de cuire, Kruul commence son histoire :

"De mon passé, de mon histoire avant d'arriver en ces terres frappées par le sort, je me souviens à présent. Tout ce qui fit de moi l'être que je suis, ce que j'ai vécu et gardé en mémoire, ce que j'ai oublié et que l'on m'a rappelé, quand, trop petit et trop faible, je ne savais manier les mots.

Je suis né dans la grande forêt du nord de nos terres, non loin de la frontière d'avec les Galdurs.

Mon père fut chevalier, en son temps, mais quand il s'établit et prit femme, il était déjà d'un âge avancé, et, dégoûté des batailles, il ne souhaitait plus que vivre en marge du monde des hommes et de leur folie.

La maison qu'il bâtit au fond des bois, de pierre et de rondin, était assez semblable à celles que construisent les Galdurs. C'était une région aux hivers particulièrement rudes.

Les souvenirs que j'ai de lui sont ceux d'un géant, avec une ombre immense et à la force colossale, mais quel petit enfant ne voit pas son père ainsi? L'avoir perdu si jeune lui confère cet aspect immuable dans mon esprit.

Il avait remisé ses armes et armures dans un grand coffre près de l'âtre. Seule son épée était fixée au dessus du linteau de la cheminée, pour lui rappeler sans doute le guerrier qu'il fut. Les seuls instants où il les sortait étaient ceux dédiés à l'entretien de son matériel, tâche qu'il accomplissait avec une régularité de vieux soldat.

Il était ordinairement vêtu de cuir et de fourrures, armé d'un arc et d'un long coutelas, puisqu'il exerçait le métier de chasseur, ce qui nous suffisait pour vivre : le gibier accommodé des légumes que ma mère faisait pousser dans la clairière. Ce que mes parents ne pouvaient produire, ils l'échangeaient contre des fourrures lorsqu'ils se rendaient, une ou deux fois l'an, au marché du plus proche village.

La vie aurait pu s'écouler ainsi... Mais nul homme ne peut échapper à son passé, et celui de mon père était fait de guerre et de violence, et, si lui le rejetait, celui-ci cherchait à le rattraper, inexorablement.

Mais je n'ai point évoqué ma mère jusqu'à présent. Il me faut sans tarder réparer cet oubli. Elle semblait quant à elle appartenir davantage au monde de la forêt qu'à celui des hommes, partant bien souvent dans de longues et mystérieuses expéditions afin de rapporter des extraits de plantes connues d'elle seule. La maison était remplie de ses bouquets de fleurs sèches pendues aux poutres, de racines aux propriétés uniques, de bocaux de poudre de feuilles ou d'écorces variées. Une marmite était constamment sur le feu dans mon souvenir, répandant une odeur étrange et entêtante dans la clairière.

Les villageois la regardait avec méfiance, comme s'il craignait une malveillance de sa part. je me souviens des regards que les gens nous jetaient à la dérobée comme nous traversions le village sur notre charrette, elle et moi. Pourtant, c'était vers elle que les femmes du village venaient quérir de mystérieux conseils. Un jour, elle m'expliqua que cette défiance que lui manifestaient les gens était due au fait qu'il y avait des Galdurs dans ses ancêtres, mais je n'ai jamais trouvé cette explication suffisante."

Kruul s'interrompt pour saisir la viande maintenant grillée. Il mange un moment en silence.

"De ce dont je vais vous entretenir à présent, je n'ai point souvenir, tout au plus quelques vagues impressions, dont je ne saurai jamais si elles furent causées par des songes, le récit de ces événements ou leur vécu, car à cette époque, je n'avais pas encore un printemps. Mon destin fut lié à celui de plusieurs êtres en ces instants et cette histoire est donc le fait de plusieurs conteurs. Ne soyez donc pas étonnés si certains détails vous paraissent changeants, quand bien même j'en suis le fil conducteur.

Un matin de la fin de l'hiver, lorsque le soleil, encore bas sur l'horizon, commençait à peine à réchauffer la Terre de ses rayons, mon père était sorti relever ses collets, et ma mère s'était mise en quête de certaines pousses qu'elle ne trouvait qu'aux premiers jours du printemps. Ils ne craignaient guère de me laisser seul, la maison étant très isolée, et mon père confiait toujours à ses deux mâtins, deux énormes bêtes qu'il utilisait pour chasser les plus gros gibiers et d'autres créatures plus féroces encore, le soin de monter la garde.

Peut-être cette absence leur sauva-t-elle la vie. Toujours est-il que lorsqu'ils revinrent quelques heures plus tard, ils trouvèrent les deux chiens égorgés devant la porte et celle-ci grande ouverte, un silence de mort régnant sur la clairière. Craignant le pire, ils se précipitèrent dans la maison, mais elle était vide, j'avais été enlevé. La piste bien visible laissée dans la neige et la boue résonnait comme une provocation envers les talents de pisteur de mon père. Il n'y eu aucun doute dans son esprit à cet instant ; en m'emportant, c'était lui que mes ravisseurs voulaient atteindre, en l'obligeant à les suivre.

Mon père ne dit mot, ni ne montra signe de rage ou de colère. Calmement, il sortit son armure du bahut et la revêtit, puis il décrocha son épée du mur et la ceint à sa taille. De ce que mes parents se dirent à cet instant, je ne sus que la promesse que mon père fit à ma mère, celle de me retrouver sain et sauf, quoiqu'il advienne. Sans attendre, il se lança sur la piste de mes ravisseurs, laissant ma mère à ses angoisses.

La traque dura trois jours, l'emmenant loin en pays Galdur, où l'approche du printemps ne se faisait plus guère sentir. La piste l'entraînait à travers des cols de plus en plus élevés. Mais depuis un moment, il n'avait plus besoin de regarder les signes du passage des ravisseurs car il avait compris où ils voulaient le mener.

Quand il arriva en vue du castel, perché sur un piton rocheux, seulement accessible par un sentier escarpé, dominant une vallée encore enneigée, son cœur se serra. Il ne connaissait que trop bien cet endroit et eût préféré que sa traque l'emmène aux Enfers plutôt qu'en ce lieu.

Plusieurs années auparavant, quand mon père se battait encore pour les armées eldorianes, il était déjà venu jusqu'à ce château. Et, à cause de ce qui s'y déroula à l'époque, il comprit que je n'étais point un appât et que mon enlèvement n'était pas le fruit du hasard. A cet instant, il en vint à douter de pouvoir honorer la promesse faite à sa femme. Il poussa un long soupir et fit glisser sa lame hors de son fourreau, puis il s'élança à petites foulées en direction du castel."

Un loup hurle à la lune, de l'autre côté de la rivière... Kruul se lève alors.

"Il est temps pour moi de reprendre ma chasse, peut-être nous reverrons-nous, et, si vous le souhaitez, je poursuivrai alors mon récit."

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