A l'aurore, je me levais, inquiet de l'état de Bélial. N'aillant plus de tente, nous avions dormi dehors. J'observais les alentours aux premières lueurs de jour, les corps de nos assaillants de la veille étaient là, alignés par terre. Six Elfes, deux Humains. La nuit, je n'avait pas vu le blason de leur armure, les deux Humains n'en avaient pas, les six Elfes en portaient un, j'étais persuadé de l'avoir déjà vu quelque part. Zerany me fit comprendre en un mot ce que représentait ce blason, Hilforne. Il me tendit ensuite un papier qu'il avait trouvé sur l'un des Humains qui étaient sans doute des chasseurs de prime, c'était un avis de recherche. Je le lis rapidement, il portait sur Zerany, Nar'tolk, Alton, Istolil, Omareth, Bélial et moi même, tout notre groupe en fait. Une grosse somme d'argent était promise pour ramener nos têtes, et une autre plus petite mais non négligeable pour des informations qui permettraient de nous trouver. Nous n'avions plus de temps, ils savaient où nous étions et allaient envoyer d'autres troupes d'ici peu. Il fallait prendre le bateau au plus vite, si ce n'était pas déjà trop tard. Laissant là les restes de notre campement, nous détachions les chevaux et partîmes. Bélial s'était bien reposé et pouvait monter à cheval grâce aux soins de Nar'tolk.
Linun n'était qu'à une heure au galop, mais ce trajet paraissait durer une éternité pour moi. Nous étions si près du but, de ces îlots magiques. Le bruit des vagues qui heurtaient les récifs me semblait lointain. Et soudain, le silence. Nous avions arrêté nos chevaux à quelques dizaines de mètres des portes de la ville. Le temps semblait suspendu dans ce silence terrifiant. Les portes de la ville étaient fermées. Au dessus des remparts, des dizaines d'archers s'apprêtaient à tirer. C'était trop tard.
Nous ne pouvions plus rien faire, c'était la fin, Linun avait été prévenu, ils étaient persuadés d'avoir affaire à de dangereux assassins. Ils avaient été trompés par l'Hilforne, ou en tout cas, ils avaient passé un accord. Il semblait que nous aillons toutefois un espoir, ils n'avaient pas encore tiré. S'ils voulaient nous tuer, ils l'auraient déjà fait. Le son d'une corne s'éleva et la porte s'ouvrit lentement. Une poignée de guerriers sortit. Une vingtaine tout au plus. Derrière eux, une silhouette sombre marchait. Sans doute un mage, son visage était caché par l'obscurité de la capuche de sa cape. Il n'allait vraiment pas avec les autre Elfes qui portaient de riches armures décorées du blason de Linun. Le groupe d'Elfes se positionna de façon à nous couper l'accès à la cité. Ils voulaient nous arrêter, nous n'avions pas vraiment le choix. Nous leur confiions nos chevaux, nos armes et nos provisions. Il valait mieux rester en vie pour l'instant et tenter de nous enfuir plus tard. Les guerriers s'écartèrent avec nos armes et le mage s'approcha. Nous n'avions même pas le temps de réagir qu'il leva les bras, prononça une incantation et le paysage autour de nous avait disparu. Le mage flottait avec nous dans un océan de magie lumineuse. Je perdais l'équilibre, mais je n'avais aucune idée de si je pouvais tomber ou non. Visiblement non, je me laissais bercer par ce flot de mana. La lumière était trop forte, je n'arrivait plus à garder les yeux ouverts.
C'est au moment où je me rendais compte que je n'arrivait plus à respirer que j'heurtai violemment quelque chose. Le sol. J'étais aveuglé par l'excès de lumière de cette magie et n'arrivais plus à retrouver l'équilibre. Je m'asseyais par terre en me tenant la tête le temps de retrouver la vue et assez d'équilibre pour tenir debout. Il me fallut un moment. La vue me revint mais c'était assez flou. Après un effort pour me lever, je me tenais à peu près debout. J'étais seul dans une petite pièce. Les murs étaient de pierre. L'un des cotés de la pièce était différent mais je n'arrivait pas à discerner ce qu'il y avait, trop de lumière. J'étais en train de grogner contre ce fichu mage lorsque je pus discerner que la pièce était en fait une cellule. Le cote que je ne voyait pas bien était fait de barreaux. Etrangement, la cellule ne donnait pas sur un couloir sombre et lugubre mais sur une tribune lumineuse. Une dizaine de personnes étaient présentes. Des Elfes Pales. Ils discutaient calmement en jetant quelques coups d'œil dans ma direction par moment. J'entendais des voix à coté, c'était mes compagnons, ils étaient aussi dans des cellules identiques face aux tribunes. On nous avait séparé, nous ne pouvions communiquer qu'en parlant fort, pas de secret.
J'observai les personnes présentes dans les tribunes. Ils portaient tous des tuniques qui semblaient montrer un haut statut dans leur société. Sans doute le Conseil des Anciens de Linun, voulaient-ils nous juger ? Pour quel crime ? Au fond de la salle, le mage était présent, toujours vêtu de sa sombre cape dissimulant son visage dans l’obscurité de la capuche. Comme à l’entrée de la ville, face aux remparts, personne ne faisait attention à lui. C’était un personnage bien mystérieux, il m’intriguait. Mais un détail me choqua, je ne savais pas pourquoi je ne l’avais pas remarqué avant. Au fond de la salle, une grande bannière arborait fièrement des couleurs que j’avais déjà vu il y a peu, les couleurs de l’Hilforne.
Ainsi ce fichu mage nous avait renvoyé directement en Hilforne. Tout ce trajet que nous avions parcouru, il nous l’avait fait refaire dans l’autre sens. Et en seulement quelques instants. Il avait réussi à nous téléporter tous les sept avec lui, traversant toutes les terres elfiques pour arriver jusqu’en Hilforne. Après une telle prouesse, n’importe quel mage se serait évanoui ou serait mort sous la fatigue. Mais lui, il se tenait là, debout, les bras croisé, sa respiration ne montrait pas le moindre signe de faiblesse. C’était un mage très puissant, il n’était pas à sous-estimer. C’était inconcevable de penser à l’affronter sans être bien préparé. Enfin il faudrait déjà réussir à s’évader. Les membres du Conseil ne portaient toujours pas la moindre attention à nous. Ils voulaient nous pousser à bout, tant mieux, j’étais plutôt bon à ce jeu. Aussi, je décidais de m’asseoir par terre, sereinement, fixant un à un mes opposants à ce jeu de nerfs.
Ils ne levaient toujours pas les yeux vers nous. Ils feuilletaient des dossiers, discutaient à voix basse entre eux. Comme ils ne me regardaient pas, c’était inutile de leur lancer quelques sourires confiant pour les déstabiliser, alors je m’en remettais à observer le mystérieux mage. Cet affrontement silencieux ne cessera que lorsque quelqu’un protestera, ce qui était sûr, c’est que je ne serai pas ce quelqu’un. J’espérais que mes alliés l’avaient compris eux aussi et qu’ils feraient comme moi. Les minutes passaient, personne ne semblait à bout. Je ne savais pas combien de temps s’était écoulé, mais j’aurais dit une bonne demi-heure. Personne n’avait décroché un mot depuis le début. C’est alors que le mage, resté silencieux jusqu’alors, émit un claquement de langue. Un signal. Tous les membres du Conseil, sans exception levèrent la tête vers nous instantanément. Nous avions gagné cette bataille, ou du moins nous n’avions rien perdu. Je manifestais mon soulagement d’un rire bruyant et froid afin de les rabaisser encore un peu plus. Ce procès, s’il s’agissait bien de ça, commençait bien, même si l’issue ne pouvait nous être favorable.
L’un des membres, sûrement le Président du Conseil, qui était placé au premier rang et au centre de la rangée, pris la parole : « Vous nommez-vous bien Zerany, Nar’tolk, Alton, Mortys, Istolil, Omareth et Bélial ? demanda-t-il en nous montrant chacun notre tour du doigt dans l’ordre des cellules. » D’une même voix, nous confirmions. Il reprit : « Mortys, vous affirmez bien être le fils de Nocturna, ancienne dirigeant d’un village nommé Mortyr, formé de rebelles, dont six représentants sont ici présents, pour la plupart coupables de multiples meurtres et enlèvements sur des membres de notre cité ? Village sur lequel a été mené une action militaire afin d’arrêter les préjudices causés à notre société le 27ème jour du mois d’Elfist du Fingelien 316. » Après avoir un peu réfléchi à ma réponse, je lui répondais froidement : « Si c’est comme ça que vous désignez le descendant de la digne Matriarche Nocturna de la grande et autrefois prospère cité du Mortyr chez les gens de votre espèce, coupables d’avoir rayé de la carte une cité entière pour le simple fait de ne pas avoir les mêmes valeurs et coutumes, et ne témoignant pas le moindre signe de respect envers une grande Elfe comme celle que fut ma maternelle, alors oui, je suis bien ce Mortys là. » Sans afficher aucun ressenti face à ma réponse, il continua : « Vous assumez alors être aussi le meneur d’un groupe de rebelles formé des criminels notoires que sont vos six confrères ici présents, tous d’anciens membres actifs de ce village déchu qu’était le Mortyr, ainsi que de vous-même. Groupe dont l’ultime but serait de reprendre un territoire pour créer à nouveau un village de malfrats comme le fut le Mortyr. » J’acquiesçais pour confirmer ses dires, inutile de gâcher ma salive à faire une vraie réponse, il n’écouterait pas.
S’en suivit une foule de questions concernant les actions passées de mes acolytes. Je ne pouvais m’empêcher de sourire en entendant les actes héroïques qui faisaient la fierté et l’honneur de la garde rapprochée de ma mère. Lorsque vint le tour de Bélial, je compris qu’ils n’avaient rien contre lui. Ils l’accusaient juste de nous avoir accompagné. D’ailleurs ils n’avaient rien contre moi non plus, mon plus gros crime était d’être né. Après avoir fini de poser ses questions, le Président du Conseil déclara : « Bien, nous en avons fini. Vous affirmez donc tous les sept être coupables d’après nos lois. Nos gardes vont vous conduire à vos cachots, nous allons discuter à propos des sanctions que vous allez recevoir. Nous nous reverrons donc dans quelques jours. Gardes ! » Une vingtaine de gardes entrèrent et nous sortirent de nos cellules pour nous escorter à la porte de derrière qui menait aux cachots. Le mage nous suivait de près, inutile de tenter quoi que ce soit maintenant. Le couloir qui donnait sur les cachots était mal éclairé mais ce n’était pas un problème pour un Elfe Noir, je voyais aussi bien là qu’en plein jour. Les lourdes portes de métal des cellules semblaient pouvoir résister à la massue d’un Cyclope. Les gardes nous escortaient dans le couloir, à la première porte, deux gardes restèrent avec Bélial pour le faire entrer. Nous avions des cellules individuelles. A la deuxième porte, personne ne s’arrêta, pareil pour la troisième. Ils nous séparaient pour nous empêcher de communiquer, décidément ils ne nous sous-estimaient pas et ne laissaient rien au hasard. Laissant deux cellules entre chacun de nous, les gardes continuaient leur escorte. J’obtins la toute dernière cellule, la plus loin de la sortie, évidemment, j’étais le chef donc s’il y avait une évasion, les autres ne me laisseraient pas ici, ça compliquait les choses.
Ma nouvelle résidence n’était pas si inconfortable, j’avais un lit, une petite table, une chaise et même une petite salle d’eau. Sur la table, un déjeuner m’attendait, dans une assiette il y avait un plat de légumes, à coté de l’assiette un morceau de pain et j’avais aussi une carafe d’eau. Je levais un sourcil à la vue du régime alimentaire qui m’était imposé, et je murmurais pour moi-même : « Et la viande ? Ils ne mangent que ça ici ? Curieux ces Pâlots. » Dégoûté à la vue de cette verdure, je lançais l’assiette par la fenêtre en haut du mur. J’entendis le bruit de la porcelaine qui se brisait sur les barreaux métalliques. La fenêtre n’était pas une bonne issue. Alors je m’allongeais sur le lit, me rappelant des règles à respecter en temps de captivité.
1 – Ne rien dévoiler
2 – Chercher à établir un contact avec l’extérieur ou avec d’autres prisonniers, tenter de s’échapper seul n’est souvent que pure folie.
3 – Faire très attention à l’alimentation, le mieux est de ne rien avaler si l’emprisonnement est de courte durée.
4 – Si un quelconque plan d’évasion voit le jour, ne jamais perdre de vue l’ordre des priorités des gens à secourir :
- A – Les détenteurs d’informations capitales, qu’elles concernent les ennemis, les alliés ou nous-mêmes
B – Les supérieurs hiérarchiques
C – Vous et ceux étant de même rang que vous
D – Les sous-fifres
5 – Bien se reposer si on veut pouvoir trouver un moyen de sortir un jour.
6 – Garder la tête froide, être patient, lorsque l’on est à bout de nerf, les chances de sortir s’amincissent.
Je me rendais compte de l’inutilité de ces règles dans mon cas. Je n’avais plus qu’à réfléchir à un plan.