Qu'est-ce qui poussa l'horreur et la séparation à renaître, dans les mains d'un Eldorian extrémiste et charismatique ?
Peu ont d'explication mais pour moi, ce sont les Landes qui sont à l'origine de ceci : lasses de cette paix qui les obligeaient à la docilité, elles furent la cause des folles idées de celui que je maudis encore plus que les Landes !
En l'année du Fingelien 141 (en l'honneur du grand homme, on avait commencé à compter, à partir de sa naissance en Fingeliens, faisant de ce nom une part même de l'histoire), un Eldorian résidant à Luminea, du nom de Tallikion, déjà connu de ses pairs pour son charisme et ses discours convaincants, apparut comme un fervent admirateur et adorateur de la Prompte et Forte Poigne.
A ses débuts en tant que prêtre, il avait subjugué ses auditeurs et avait cumulé les acclamations de la part des croyants mais, on ne sait pourquoi, Tallikion commença à croire qu'il n'existait qu'une seule manière de l'adorer.
Il devint donc, discrètement, un opposant à l'universalité de culte soutenue par Fingel.
Faisant ressurgir les vieilles traditions liées au dieu unique qu'adoraient les Eldorians avant de connaître Fingel, il reçut le soutien de nombreux Eldorians, et de la plupart des prêtres du Temple de Luminea, qui désiraient plus que tout que Celui en lequel ils croyaient, reçoive l'assentiment de toutes les races de l'Alliance.
Il réussit à convaincre plus que son entourage et se concentra sur les Hommes Bleus : ces derniers constituaient la proie facile pour Tallikion.
En effet, la majorité des Hommes Bleus acceptaient l'idée du Dieu unique, mais avaient des divergences en ce qui concernait la manière de l'honorer. Au fil des ans, des groupes s'étaient formés à ce sujet, au sein du peuple charmeur.
Mais les tentatives de Tallikion rencontrèrent un échec croissant : car malgré ces divergences, tous les Hommes Bleus honoraient la Forte Poigne d'une autre manière que les Eldorians même. D'aucuns refusèrent donc de suivre les idées de Tallikion, respectant le principe de liberté soutenu par Fingel.
Tallikion comprit alors qu'il ne pourrait jamais les convaincre et conçut de la colère contre ce peuple qui semblait avoir les faveurs du Maître Spirituel de l'Alliance en personne.
Il transforma alors l'écart religieux qui s'était creusé entre ses partisans et le peuple bleu, en une solide haine. Il utilisa à cette fin la jalousie de la plupart des Eldorians, qui enviaient la grâce, la beauté et le charme des Hommes Bleus.
Il mit sur pied une faction, qui avait pour but de faire passer la "vraie parole" et pour principale caractéristique de jalouser les pouvoirs et l'importance des Hommes Bleus dans l'Alliance.
La jalousie fut le moteur du racisme naissant : il est facile d'exclure les Sauriens, d'aspect repoussant ; d'exclure les Elfes, toujours trop hautains mais il est encore plus facile de jalouser ce que nous n'avons pas, même si le partage se fait.
Des disputes se déclenchèrent ou furent déclenchées dans les lieux de rassemblements et se répandirent dans les rues de Luminea.
Le parti de Tallikion réussit à s'infiltrer de manière de plus en plus imposante dans le Conseil du Renouveau.
La haine raciste renaissait dans l'esprit des Eldorians de Luminea, qui las de vouloir partager, trouvaient un avantage dans l'individualisme exacerbé de Tallikion le franc parleur et surtout, celui qui semblait être le véritable et plus haut représentant du Dieu Unique dont la parole avait été apportée par Fingel.
L'ironie voulut que ce dernier ne put rien faire pour lutter contre ce mouvement général : dès qu'il avait appris ce qu'essayait de faire Tallikion, le Maître Spirituel de l'Alliance avait fait de nombreux discours pour faire marche arrière.
Mais ces discours furent, avec l'aide du renégat, interprétées comme des oppositions à la parole divine : alors que Fingel avait pour but de faire accepter par tous, les opinions de chacun sur le Dieu Unique, les partisans de Tallikion considérèrent que Fingel refusait d'aller jusqu'au bout et de réellement suivre la Prompte Poigne.
Celui qui avait apporté la Vraie Parole, était donc devenu un obstacle à son existence selon ces derniers. Alors que Fingel voulait juste que les principes fondant l'alliance même soient conservés, il se mettait sans le savoir dans le camp ennemi de Tallikion.
Et même s'il le comprit, Fingel ne put rien faire : s'il avait suivi Tallikion ou accepté ses opinions, il aurait été par là même le destructeur de l'Alliance qui se devait d'accepter les cultures et opinions de chacun ! Ne se doutant pas de l'ampleur du pouvoir de Tallikion, il prit un temps pour réfléchir sur la solution adéquate. Un temps trop long...
Ce qui devait arriver arriva : malgré les nombreuses tentatives de convaincre et avertissements de Fingel, la haine se transforma en colère destructrice, tant en Luminea qu'en Eldorian même jusqu'au jour où elle éclata, durant le Fingelien 148.
Tallikion et ses très nombreux fidèles prirent les armes durant une chaude nuit d'été, lorsque les cloches du temple sonnèrent minuit.
Telle une maladie incurable, tous ses fidèles se mirent à parcourir et à envahir toutes les rues de Luminea pour massacrer tous les Hommes Bleus qu'ils croisaient.
Fous et ivres de sang, Tallikion et ses suivants commencèrent à défoncer les portes des habitations qu'ils savaient loger des Hommes Bleus. Le mal se répandit dans toute la ville et s'enflamma en bataille.
Tous ceux qui s'opposaient à Tallikion et à sa folie meurtrière furent lâchement tués et Hommes, Nains, Elfes ainsi que bien d'autres furent assassinés dans leur lit ou sans défense. Femmes et enfants ne manquèrent pas au nombre.
Les partisans de Tallikion n'avaient en outre aucun signe qui les distinguait de ceux qui ne les suivaient pas : le massacre devint guerre civile dans les deux grandes villes.
Le conflit devint impossible à maîtriser dans les petites rues de Luminea et l'interdiction qu'avait donné Fingel à son armée d'intervenir pour éviter que des civils soient tués sans raison puisqu'ils ne pouvaient être sûrs du camp de chacun, perdit tout son sens lorsque certains soldats de haut rang apprirent la mort de leur propre famille, des mains de Tallikion.
Fous de rage, ils bravèrent l'interdiction. Ceux-là désobéirent au chef de l'armée et partirent venger leur famille, de leurs épées. Fingel perdit totalement le contrôle de l'armée quand elle se divisa, certains hauts soldats ayant en cachette suivi Tallikion.
Tallikion leur lança alors l'ordre de supprimer le maître de l'alliance qui selon lui, s'opposait à eux en massacrant des civils soi-disant sans défense, ce qu'il n'avait même pas ordonné.
Fingel fut évacué par ses plus fidèles en Eldorian, où il croyait trouver refuge. Mais dans la capitale Eldorian, la situation similaire s'était déroulée. Il du donc fuir chez les Hommes Bleus, le royaume le plus proche.
Sa fuite chez les Hommes Bleus fut interprétée par les fidèles de Tallikion comme le choix définitif d'un camp : Fingel avait choisi d'être contre eux, il payerait donc. Suite à la fuite de Fingel, Tallikion et ses fidèles, en très grand nombre et maintenant sans opposants (ils avaient tous été massacrés) prirent le contrôle de tout Luminea et de tout le royaume Eldorian.
Fingel, ne pouvant pas faire face au conflit qui s'enlisait et même ayant entraîné avec lui le Roi Eldorian, ne put rien faire : l'armée de l'Alliance, amputée d'une grosse partie, ne pouvait faire face au grand nombre qui avait pris possession de Luminea. Il ne pouvait pas non plus attaquer Eldorian, sous peine d'enfreindre les principes de l'Alliance.
Mais outre ces impossibilités, le héros Fingel n'avait plus goût à rien : voilà le lot de ceux qui vivent si longtemps, voilà le lot des immortels. Avec l'âge, Fingel n'avait rien perdu de sa vivacité et de sa jeunesse : la lassitude s'était toutefois emparée de lui.
Voyant toute son œuvre détruite de l'intérieure par ceux qui avaient oublié les affreux maux du passé chaotique des Landes, voyant la corruption s'étendre à nouveau sur les êtres irréfléchis qui les peuplent, voyant tout cela, le héros sans faille sombrait dans une morosité sans précédent.
Il prit une décision, malgré son découragement : il fit appel aux armées nationales et réunit le Conseil des Rois. Les portes magiques ayant été fermées pour empêcher Tallikion de faire des dégâts, le Conseil mit du temps à se réunir et l'ennemi en profita.
Avant que la reine D'jhi ne parte pour le Conseil, celle-ci fut renversée par une partie de son peuple, que Tallikion avait eut le temps de convaincre. L'armée d'jhi se scinda et ses parties s'affrontèrent. Bien que les survivantes du combat soient des opposantes à la folie de Tallikion, elles durent rentrer pour réorganiser leur armée. Sur le chemin que devait emprunter l'Alta Mundi, celle-ci fut assassinée lâchement par un partisan suicidaire de Tallikion. Les Kultars, pleurant la mort de leur déesse terrestre, firent demi-tour et quittèrent l'Alliance.
Puis, dans le même courant, les Galdurs, dont l'esprit sanguinaire s'était réveillé, annoncèrent leur soutien envers Tallikion. Ils prévoyaient par cette voie, de beaux combats à venir : l'Alliance et la paix les lassaient.
Quant aux Elfes, devant cette folie sans raison, ils quittèrent l'alliance, dégoûtés par la petitesse humaine.
Fingel vit son œuvre s'étioler de plus en plus mais ne réagit pas avec autant de motivation que dans le passé : il croyait plus que tout, que si l'Alliance était une bonne chose, elle devait apprendre à vivre d'elle-même, et pas seulement par les actions de son créateur. Il voyait tous ses efforts passés se réduire à néant et n'avait plus le courage et la force mentale pour recommencer tout ce qu'il avait entreprit autrefois.
Le Conseil appelé par lui, ne contint que les Hommes Bleus, les Nains et les Sauriens qui rassemblèrent leurs armées communément pour affronter Tallikion, qui, entre temps, avait réussit par multiples ruses et corruptions à réunir aussi de son côté les Sinans : appelant à l'union des peuples humains qui suivaient véritablement la Prompte et Forte Poigne, ils parvinrent à avoir de leur côté leurs frères humains.
La concentration totale de Tallikion sur la puissance militaire de ses suivants, au prix des multiples souffrances des peuples qui le suivaient, eut raison des rêves brisés des fidèles de Fingel et de la lassitude de ce dernier.
Tallikion remporta la bataille qui opposa les restes de l'Alliance à l'union de ses partisans et massacra tous ceux qui avaient été fait prisonniers. Fingel combattit mais le cœur n'y était pas et avoir en face de lui ceux qu'il avait fait naître dans la paix éternelle maintenant oubliée et écrasée, n'ajoutait que plus d'intensité à son désarroi.
L'armée de ses derniers fidèles fut écrasée et il dut sonner la retraite pour les quelques survivants et les rois alliés.
Fingel, qui était resté, après le son de la retraite, sur le haut d'une colline près de Luminea, maintenant complètement détruite, vit la fin de son utopie.
Il avait fait confiance aux Humains, corruptibles avant tout et aux autres races tout aussi légères d'esprit. Il avait fait confiance à l'amour et à la paix mais la haine avait tout surmonté. Face à tout ce travail accompli pour rien, face aux ruines de Luminea et de son rêve, il tomba à genoux et pleura.
Entre les larmes, il réussit à chanter une chanson d'amertume qui par un étrange phénomène se réverbera et résonna dans toutes les contrées voisines des Landes Eternelles.
Tous ceux qui l'entendirent ne purent résister à sa beauté et se maudirent pour leur rôle dans la fin de l'alliance. Tous pleurèrent et l'on vit même Tallikion baisser les paupières.
Quand le chant fut terminé, les Landes conclurent elles-mêmes la fin de l'alliance et des puissants royaume qui avaient oser braver leur défi en croyant qu'elles pouvaient être conquises et qu'une civilisation pouvait être éternelle.
Le sol se mit à vibrer et lorsque Fingel accomplit son dernier geste, - il enfonça sa dague dans son ventre en maudissant les Landes Eternelles et en maudissant la stupidité des races qui se targuaient d'être importantes – le sol des landes s'écarta sur une abysse sans fond.
Les eaux de la mer voisine aux Landes se précipitèrent dedans et Tallikion et tous ses fidèles furent engloutis, ainsi que Luminea. Des phénomènes du même type eurent lieu un peu partout dans les landes : éruption de volcans, tremblements de terre, tempêtes destructrices.
Le cœur cruel des Landes Eternelles se remit à battre et elles redevinrent sauvages et voraces. Les survivants du cataclysme durent se réfugier comme des bêtes dans leurs capitales et les grands royaumes d'autrefois se réduirent à des régions perdues.
Les Landes reprirent le dessus et conquirent ce qu'elles avaient pendant trop longtemps laissé aux rêveurs.
La géographie de la région se modifia et la bande centrale des Landes devint un gigantesque îlot, entouré par des flots aussi impétueux que ne l'était devenue la mer autrefois calme.
Les Landes étaient revenues, ne laissant plus aucune place aux songes doux et grandioses mais à un seul grand vide, comblé par des souvenirs d'amertume, de regrets, de territoires indomptables et inhabitables...
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